Face à la multiplicité des menaces et la complexité toujours plus grande des relations géopolitiques, la France souhaite renforcer sa capacité à collecter des informations et protéger les siennes. D’où le recrutement massif d’espions sur les trois prochaines années.
Ils sont les rois de la discrétion, et pourtant, les espions sortent aujourd’hui de leur cachette pour rendre visite aux étudiants des grandes écoles ; un type de déplacement sur le terrain assez inédit pour ses habitués des zones de conflits géostratégiques. L’enjeu est de taille : la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) annonce le recrutement de 600 nouveaux agents d’ici fin 2019. Depuis quinze ans, les effectifs ont bondi de 30 % (pour un total de 6 400 agents aujourd’hui), preuve de la priorité budgétaire accordée à la question du renseignement.
Malgré l’excellence exigée, ces postes seront principalement confiés à de jeunes diplômés, plus au fait des mutations de l’environnement informatique et technologique. Ainsi, les profils recherchés sont pour la plupart d’une grande technicité : ingénieurs en sécurité informatique et « hackers », experts en télécoms, crypto-mathématiciens… Les profils plus littéraires ne sont cependant pas en reste, puisque la DGSE recherche également des rédacteurs de synthèses géopolitiques et –surtout– des linguistes. Persan, égyptien, dialectes arabes… de nombreuses langues manquent à l’appel pour décrypter correctement les informations obtenues. Aujourd’hui, les linguistes ne représentent que 4 % des embauches ; un score faible qui traduit non pas les besoins de la DGSE mais le manque criant de candidats.
La sélection des espionsLa chart déontologique des agents de la DGSE, signée par toute nouvelle recrue, est ambitieuse et repose sur quatre lettres : LEDA (pour loyauté, exigence, discrétion et adaptabilité). Signée en amphithéâtre lors d’une cérémonie par toutes les nouvelles recrues, elle est prise très au sérieux et justifie l’exigence du processus de recrutement. Après la rédaction d’une note de synthèse géopolitique en anglais (épreuve éliminatoire), le candidat passe un oral devant un jury, consistant en une mise à l’épreuve visant à évaluer sa réactivité et son émotivité. La sélection est finalement affinée par un stage de seize ou dix-sept semaines, constituant une période d’essai. |
Avec cette vague d’embauches, la DGSE franchira donc le cap des 7 000 agents. Malgré l’image de l’agence auprès du grand public, les militaires y sont très minoritaires (37 %), supplantés par les fonctionnaires (42 %) mais devant les contractuels (21 %). La parité n’est pas encore de mise, loin de là : seuls 25 % des effectifs sont des femmes.
Alors même que de nombreuses études soulignent l’importance que les jeunes diplômés accordent à l’équilibre privé-professionnel, les aspirants espions ne manquent pas : près de 20 candidats par place à pouvoir. Il faut dire que la DGSE rivalise d’arguments pour séduire, avec des salaires de 3 000 euros bruts pour en début de carrière et plus de 170 offres de formation continue dans de nombreux domaines (biométrie, contre-filature, desilhouettage…). L’acquisition de compétences est d’ailleurs un marqueur fort de ces carrières, qui se caractérisent par une adaptation continue aux nouvelles menaces et opportunités. Un agent doit ainsi justifier de plus de cinquante semaines de formation sur au moins cinq ans avant de se voir confier des missions de terrain à l’étranger.
Pour toucher ces candidats au profil « geek », la DGSE peut enfin jouer la carte de la technologie, elle qui possède des instruments de collecte et de traitement de données unique, introuvables dans les autres secteurs d’activité.