Le monde s’ouvre. Avec le développement des transports et des communications, les populations se mélangent.
Ainsi, environ 10 % de la population française sont des descendants directs d’immigrés et les étiquettes de boîtes aux lettres témoignent de ce foisonnement de noms aux sonorités différentes.
Pourtant, la discrimination ethnique est encore un sujet de préoccupation majeure pour le Défenseur des droits, qui constate une recrudescence des biais à l’embauche.
Une peur impossible à chiffrer
« Tout ce qui était accompli par les entreprises en faveur de la diversité est moins une priorité que ça n’a été il y a quelques années », constate Jacques Toubon, le Défenseurs des droits, à l’occasion de la publication du Baromètre sur la perception de la discrimination dans l’emploi.
Ainsi, si les demandeurs d’emploi d’origine étrangère se disent tout autant victimes de discriminations dans le recrutement que les autres (32 %, contre 34 % sur la population globale), ils sont cependant deux fois plus nombreux (14 %) à estimer qu’ils seront à coup sûr discriminés l’avenir. De plus, 64 % des victimes d’origine étrangère sont convaincue que leurs racines est le principal obstacle à leur embauche, devant le sexe ou l’âge ; au total, 60 % des répondants pensent qu’un nom à consonance étrangère ou un accent complique le retour à l’emploi. Preuve que la question de l’origine est loin d’être anodine, même (surtout ?) aujourd’hui.
Il convient cependant de souligner que les chiffres de l’enquête reposent, comme l’indique le titre, sur des perceptions, des ressentis, et non pas des faits empiriques et prouvés.
De fait, prouver la surreprésentation des personnes d’origine étrangère dans les exclus du marché de l’emploi s’avère compliqué en France, où les statistiques ethniques sont formellement interdites. Les associations concernées doivent donc recourir à de fausses candidatures pour évaluer l’impact des différents biais sur le recrutement.
Être né quelque part
Un point mérite d’être clarifié : la discrimination ethnique n’est pas liée à la nationalité du candidat, ou si peu. Ainsi, un Français (de nationalité française, né en France, parfois même de parents français) peut être la cible de préjugés ethniques si son nom ou son physique laisse supposer des racines étrangères.
Au-delà de la question plus spécifique des immigrés sans papier (qui pose des problèmes juridiques à l’employeur), la discrimination repose sur des chaînes de stéréotypes (associer une couleur de peau à un niveau d’études, par exemple, ou un nom à une religion). Cette connexion entre les différents motifs de discrimination conduit Jean-Marie Peretti à conclure, dans son ouvrage Tous différents : Gérer la diversité dans l’entreprise que 40 % des discriminations à l’embauche sont liées à l’origine ethnique.
Discriminer à l’issu de son plein gré
A l’initiative d’une jurisprudence de la Cour européenne de justice, c’est à l’employeur accusé de prouver l’absence de discrimination dans son choix (et non à la victime d’apporter les preuves de l’injustice). Or, bien des recruteurs ont en toute bonne foi l’impression de fonder leur décision de recrutement ou de promotion sur des critères valides, en rejetant par rapport la faute sur les attentes de la clientèle. « C’est pas moi, le raciste, c’est les autres », en somme.
Une ligne adoptée par Euro Disney, poursuivi en justice depuis 2006 par SOS Racisme pour avoir recherché des artistes « de nationalité européenne » pour ses parades, pour mieux coller au profil type des visiteurs. Cette homophilie ethnique, c’est-à-dire homogénéisation des salariés et des clients, conduit souvent à une ethnicisation des missions. Nombreux sont ainsi les appels aux 114 (ligne d’aide aux victimes de discrimination) qui font état d’entreprise dans lesquelles le contact avec le client est réservé aux employés à la peau blanche.
Le souci, dans tout cela, c’est que de telles attitudes ont tendance à nourrir un cercle vicieux, à valider des stéréotypes : les étrangers sont mauvais avec la clientèle (donc on ne les met pas en contact avec elle), ils ne s’intègrent pas dans le marché du travail (donc on ne les recrute pas)…
Par dépit, convaincus de leur incapacité à obtenir de bons postes, les français d’origine étrangère ont tendance à ne pas pousser leurs études secondaires et à être sous-représentés parmi les hauts diplômés. C’est ainsi qu’un stéréotype s’autovalide et la raison pour laquelle l’intégration structurelle est aujourd’hui plus difficile que l’intégration culturelle. L’accent doit donc être mis sur la formation initiale, afin d’augmenter le niveau de qualification des candidats concernés.
La fausse bonne idée du CV anonyme
Rendu obligatoire par la loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006, le CV anonyme n’a pas fait long feu ; privé de décret d’application, il est finalement enterré par la loi Rebsamen du 17 août 2015 qui rejette le « caractère obligatoire de l’anonymisation » et le juge inefficace et couteux.
Comment expliquer ce rétropédalage, alors même que de nombreuses études venues du nord de l’Europe démontrent les retombées positives de ce caviardage des outils de candidature ? Dans les pays anglo-saxons –les Etats-Unis et l’Angleterre, notamment– la mention de l’origine ethnique est bel et bien interdite, tout comme celle des autres critères « à risques » comme l’âge, la situation familiale ou le sexe (cf. article sur le CV anglais dans ce même numéro).
Si la France se distingue, c’est qu’elle estime que la solution au problème n’est pas tout à fait là. En effet, l’étape de l’examen du CV n’est que la deuxième étape la plus délicate dans le processus de recrutement (54 %). Elle est largement distancée par l’entretien d’embauche (74 %), auquel le candidat n’a d’autre choix d’assumer ses différences. Les candidats d’origine étrangère témoignent ainsi de l’introduction fréquente de questions personnelles au cours de l’échange : origine de leur nom de famille (27 %), par exemple, ou même croyances religieuses (22 %).
C’est pourquoi le Défenseur des droits appelle à « dépasser le CV anonyme » et généraliser les processus de recrutement par simulation. Mis en situation, le candidat peut alors convaincre sur la base de ses seules compétences. Un tel système de sélection est également à même de rassurer l’employeur, qui pourra s’appuyer sur des données objectives et chiffrées pour faire son choix. A cela devra s’ajouter une formation des chargés de recrutement, afin de déconstruire les stéréotypes (plus ou moins conscient) qui peuvent dominer leur sélection.
A diplôme équivalent, le français est moins touchés par le chômage
En France, environ 7 millions d’emplois relevant de la sphère publique et assimilée, soit 30% du nombre total d’emplois, sont fermés aux étrangers des pays non communautaires. Toute discrimination liée à un autre critère que le strict critère juridique de la nationalité est interdite.