Fini le temps de la compétence : bienvenue dans l’empire de la folie ! Après des années à rechercher les candidats idéaux, diplômés et compétents et expérimentés et sérieux, les recruteurs acceptent de se faire bousculer dans leurs habitudes et partent à la recherche de profils originaux, aux expériences multiples et inattendues.
Ces « mad skills » (ou « compétences folles ») constituent-elles une mode passagère pour les revues RH ou annoncent-elles l’arrivée des beaux jours pour les actifs différents, éloignés des standards du marché de l’emploi ?
« Le monde est fou, fou, fou, voyez-vous », chantait Pauline Ester, mais la « folie » mondiale ne s’est pas apaisée depuis, bien au contraire.
Tout change, et bien plus rapidement qu’auparavant, de sorte qu’il nous est bien souvent impossible de constater une évolution qui ne soit déjà dépassée.
Résultat, il devient difficile de faire cohabiter les différentes générations et de se projeter dans l’avenir ; nous baignons tous dans un grand bain d’incertitude et de volatilité.
Les entreprises, bien entendu, ne sont pas très friandes du flou. Elles qui tissent des stratégies autour de prévisions et projections aiment à limiter autant que faire se peut le risque et les zones d’ombre. D’où des stratégies de recrutement des salariés extrêmement balisées, où sont explicitement exigés certains diplômes et certaines compétences (parfois même à l’aide de logiciels informatiques d’analyse de CV et lettres).
A tel point que le processus de recrutement tourne bien souvent au jeu de rôle, avec des candidats qui multiplient les simulations d’entretiens pour apprendre à placer mots-clefs et tournure de phrase éloquentes. Les recruteurs embauchent des clones, afin que les profils opérationnels en place puissent être certains de leur relève.
Sauf que cette belle mécanique se grippe lorsque les outils et usages d’aujourd’hui ne seront certainement pas ceux de demain, lorsqu’être à la page signifie déjà être hors-jeu. La principale qualité exigée des actifs n’est plus d’être opérationnels, mais adaptables. C’est dans ce contexte, déjà, que s’était inscrit la mode actuelle des soft skills, soit la prédominance des qualités humaines des profils sur les compétences techniques (hard skills).
Nous voici donc à l’heure des salariés caméléons, capables de se fondre dans un environnement changeant à toute allure. C’est bien, mais nombre d’entreprises (américaines, notamment) estiment qu’il convient désormais d’aller plus loin non plus en s’adaptant aux mutations, mais en les anticipant, voire en les provocant. Ne plus être suiveur, être innovant : deux ambitions qui appellent à casser les codes institués et changer les processus de recrutement.
De là l’essor des mad skills. Pour court-circuiter la concurrence, pour surprendre le public, pour innover dans les produits proposés, il faut tout simplement être différent. Exit la photocopie, bonjour la régénération dans les recrutements où sont désormais ciblés l’originalité, l’atypisme, le parcours inattendu n’ayant, dans l’idéal, rien à voir avec le secteur d’activité visé.
La déviance se fait qualité ; l’élément perturbateur n’est plus fauteur de trouble. C’est, en quelque sorte, la victoire du « bas du CV », auparavant seule zone d’expression de la personnalité du candidat. « L’intérêt principal des personnes aux compétences particulières […] repose précisément sur leur aptitude à devenir des agents au servir de l’innovation »
Ce changement d’attitude implique cependant une réforme plus profonde dans les hiérarchies. En effet, à quoi bon recruter des profils différents si, une fois intégrés, ils doivent se soumettre aux codes de la boîte ? Les directions doivent donc changer leur mode d’évaluation pour parvenir à détecter ses profils, à les fondre dans l’esprit d’entreprise sans les pousser à l’autocensure, et à les valoriser ses profils (soit revoir les systèmes d’évaluation).