C’est une maladie qui se banalise et qui, pourtant, est encore vecteur de nombreuses idées reçues et discriminations.
L’obésité touche aujourd’hui 13 % de la population adulte à l’échelle mondiale et même un adulte sur cinq dans les pays développés.
Outre les questions de santé publique qu’elle pose, cette situation n’est pas conséquence sur le marché de l’emploi, dans lequel les personnes en surpoids connaissent des trajectoires bien plus accidentées que la moyenne des actifs.
Le véritable mal du siècle ?
Auparavant perçue comme une preuve de prospérité, le surpoids est en passe de devenir le mal du siècle, un véritable enjeu de santé publique, un défi lancé à nos modes de vie et habitudes alimentaires. Stéréotype américain par excellence, l’obésité concerne désormais 20 % de la population adulte de l’OCDE.
La France, bien que sous cette moyenne, voit son taux grimper en flèche (15 % aujourd’hui, plus de 20 % d’ici dix ans). Le gouvernement a très tôt pris conscience du problème et s’est d’ores et déjà emparé du sujet, notamment par la taxe soda ou le lancement du plan Obésité 2010-2013, qui allie détection et prévention.
La prévention justement, c’est aussi le cheval de bataille du Défenseur des Droits, qui insiste sur les conséquences humaines de cette maladie. Discrimination, ostracisme, isolement et précarité.
Depuis la loi du 16 novembre 2001, l’apparence physique est reconnue comme un facteur de discrimination, au même titre que le sexe, la couleur de peau ou l’âge. Pourtant, quinze ans plus tard, la situation est alarmante. Selon un rapport au titre ironique (Le Physique de l’emploi) publié conjointement par le Défenseur et l’Organisation international du travail le 15 février 2016, 10% des femmes et 6% des hommes estiment avoir été discriminés à l'embauche pour leur apparence physique.
Plus spécifiquement, l’obésité est citée comme un facteur pénalisant dans la recherche d’emploi par 76 % des répondants, un niveau similaire au fait d’être enceinte ou de présenter un handicap visible. En bien ou en mal, 80 % des personnes interrogées estiment que leur apparence a influé sur la décision finale du recruteur.
Montre-moi à quoi tu ressembles, je te dirai qui tu es
Pourquoi un tel lien est-il établi entre poids et savoir-faire professionnel ? Comment les entreprises tentent-elles de rationaliser une discrimination lorsqu’elles ne peuvent se cacher ni derrière la pause occasionnée par une grossesse, ni derrière le coût de l’adaptation des postes de travail ?
Pour les observateurs et les personnes concernées, leurs difficultés à convaincre les recruteurs est imputable à la persistance de certains stéréotypes. « Les personnes obèses sont plus souvent caractérisées par leur poids que par d’autres attributs sociaux », notait le sociologue Jean-Pierre Poulain lors d’un colloque sur la question en 2009. « Le statut de ‘gros’ ou de ‘grosse’ prend le pas sur toutes les autres qualités du sujet. » Dans le regard de l’autre, on est donc obèse avant d’être femme ou homme, blond ou brun, grand ou petit, sérieux, timide ou même diplômé.
Il y a aussi (et surtout) cette idée que, contrairement à un handicap, le surpoids est un choix de vie, et qu’il suffirait que le candidat le décide pour changer de condition.
D’où le schéma mental qui associe le surpoids à une forme de paresse, à un manque de contrôle. Que pourrait apporter à l’entreprise un candidat qui ne sait faire preuve de volonté et d’efficacité dans sa vie personnelle ? Le glissement est subtil mais pernicieux du physique au moral et rappelle en cela la physiognomonie du XIXe siècle, cette méthode chère à Honoré de Balzac et qui prétendait déduire la personnalité d’un individu de son apparence.
Contestée depuis toujours et sans aucun fondement scientifique, elle n’en reste pas moins ancrée dans l’esprit de chacun par la déclinaison de stéréotypes dans les films, les séries et surtout les dessins animés dans lesquels le gentil est forcément athlétique et le gros, toujours la caution humoristique.
L’entreprise dont vous êtes le héro
Malheureusement, et là réside le problème, la fiction n’est pas sans conséquences dans le monde réel. Ambassadeur de la marque, carte de visite de son entreprise, le salarié campe -plus ou moins ouvertement selon les professions- un rôle de représentation. De quoi transformer la réalité en caricature dans les cas les plus extrêmes.
On pense aisément à la mode, souvent épinglée pour ses critères de poids, mais surtout à Abercrombie & Fitch, la marque de vêtements américaine ouvertement élitiste. Sans pudeur, son très controversé PDG s’est ainsi fait connaître pour ses critères de recrutement discriminants dont il s’explique avec un incroyable détachement.
« Les gens beaux attirent les gens beaux, et telle est notre clientèle cible : les gens cools et beaux. » Entendre : « les gens jeunes et minces », car aussi bien les offres d’emplois que les vêtements vendus excluent les personnes de fort gabarit. En ont découlé de nombreux procès, dont Mike Jeffries n’a cure.
Rares sont les entreprises ou secteurs à assumer ce ciblage ; elles sont cependant nombreuses à pratiquer une discrimination souterraine, d’autant plus facile à appliquer qu’elle est difficile à prouver pour la victime. Les études montrent ainsi que les personnes en surpoids ont plus de mal à décrocher à emploi après un entretien, mais également à monter en hiérarchie au sein de l’entreprise.
Difficile pour elles de se voir confier des missions au contact des clients ou partenaires, ou même de direction d’équipe. Selon le rapport du Défenseur des droits, les femmes obèses seraient ainsi huit fois plus victimes de discriminations professionnelles que celles à IMC normal (c’est-à-dire compris entre 18 et 25). D’où le slogan choisi pour la campagne de 2016 : « L’apparence physique n’est pas un critère d’embauche, mais un critère de discrimination ».
Le sport en entreprise se développe Engagées dans une véritable guerre de rétention des salariés, les entreprises rivalisent d’arguments pour développer le bien-être au travail et apparaître comme une soucieuses du développement personnel de leurs équipes. Si l’on connaissait déjà les services de garderie ou de laverie d’entreprise, les salles de sieste ou de jeux, la tendance est actuellement aux innovations saines : repas équilibrés au self, mais également mise à disposition d’un coach sportif pour des séances hebdomadaires de fitness. Si la pratique est encore très minoritaire, il suffit de constater la multiplication des organismes ou indépendants proposant ce services aux DRH pour saisir l’ampleur de la vague. Reste que ce soudain intérêt des patrons pour la santé de leur main-d’œuvre n’est pas entièrement désintéressé. Des études lient en effet le bien-être physique à un recul de l’absentéisme et une hausse de la productivité. |