C’est une réforme qui, parce qu’elle ne concerne ni le chômage ni le pouvoir d’achat, risque de ne pas faire autant de bruit que les autres. Et pourtant, la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) agite fortement les directions d’organisations. En cause : la volonté de changer dans le Code Civil la définition de l’objet social de l’entreprise, c’est-à-dire redéfinir le rôle de celle-ci dans la société.
En apparence, l’intention paraît anodine, anecdotique même si on la compare avec le « révolution copernicienne » annoncée pour le Code du travail ou l’apprentissage. Et pourtant, il aura suffi au gouvernement d’annoncer son intention de récrire deux articles du Code civil (les n°1832 et 1833) pour provoquer une vive agitation du côté des patrons. « C’est une mauvaise idée au mauvais moment », tempête ainsi Pierre Gattaz, président du Medef. Il faut dire que les articles visés le concernent directement, puisqu’ils définissent officiellement l’objet social des entreprises, c’est-à-dire leur fonction, ce qui doit être leur objectif et leur rôle dans la société. C’est quoi, une entreprise, et à quoi ça sert ?
La question est moins simple qu’en apparence. En effet, une entreprise a-t-elle vocation à créer des emplois ou à faire du profit ? Si les deux options sont importantes, laquelle est prioritaire en cas de conflit ? Enfin, une entreprise est-elle une entité indépendante et privée ou doit-elle remplir des fonctions civiques ? Le débat posé par le gouvernement est donc de l’ordre de la définition.
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Pourquoi un tel bouillonnement patronal pour une réécriture qu’Emmanuel Macron avait déjà tenté d’imposer en 2015, dans la loi portant son nom ? L’étincelle qui a mis le feu aux poudres est venue de Nicolas Hulot, lors d’une visite au siège de l’organisation patronale. « Nous allons faire évoluer l’objet social des entreprises, qui ne peut plus être le simple profit, sans considération aucune pour les femmes et les hommes qui y travaillent, sans regard sur les dégâts environnementaux. » Alerte chez les dirigeants : la RSE (responsabilité sociale des entreprises) et les engagements verts ne seront plus de l’ordre du volontariat, de la bonne volonté d’entreprises modèles, mais une obligation pour toutes. Elles seront ainsi redevables et pourront être attaquées en cas de manquement.
Ce désir de réforme s’inscrit dans un contexte particulier, celui d’une exigence accrue des salariés sur l’exemplarité des boîtes. Souvent pointés sur doigts pour leur instabilité professionnelle, leur sens du « zapping », les nouveaux actifs de la Génération Y choisissent leurs employeurs en fonction des engagements de ceux-ci. Plus globalement, de nombreuses études soulignent la défiance des Français envers les entreprises, notamment les plus grandes. Ainsi, selon le baromètre Edelman (édition 2016), seuls 46 % d’entre eux ont confiance en leur employeur et ils ne sont que 31 % à juger les entreprises vertueuses. Toutes les enquêtes vont dans le même sens, certaines étant plus sévères que d’autres. L’institut OpinionWay avance par exemple que nous sommes 56 % à ne pas faire confiance aux organisations pour créer de l’emploi et 68 % à douter de leur engagement environnemental. Autant dire que la révision du Code Civil ne validera pas un état de fait, mais sera plutôt une invitation à un changement de pratiques.
Les entreprises devront donc prendre en compte l'intérêt des parties prenantes. Le souci : les « parties prenantes », c’est précisément la bête noire des chefs d’entreprise qui redoutent son caractère généraliste. Jusqu’où peut-on s’inclure dans ce terme, qui peut couvrir du fournisseur de matières premières à l’autre bout du monde au client final ? En étendant la définition, on multiplie les entités susceptibles de demander des comptes à l’entreprise et nourrit donc l’insécurité juridique. Dans une économie aussi complexe que la nôtre, les connexions sont si nombreuses et floues que la notion de « parties prenantes » recouvre potentiellement n’importe qui. Or, on le sait, les entreprises détestent le flou, l’incertitude (ça nuit aux affaires !), tout autant que la contrainte (ça nuit à l’innovation !). Tranquillisées par la Loi Travail qui prétendait sécuriser les recrutements et ruptures de contrat, elles vivent la loi PACTE comme un retour de bâton, un deuxième effet kiss kool visant à donner des « gages de gauche » en tapant sur les patrons. Une réforme inutile, donc, éminemment politique.
Les débats actuels déboucheront sur un projet de loi, présenté au printemps 2018.