On compte aujourd’hui autant d’accidents du travail chez les aides à domicile que dans le BTP. Le chiffre est éloquent et souligne bien les risques croissants qui pèsent sur les travailleurs du secteur médico-social. Parce qu’ils font l’objet de plus en plus de littérature professionnelle et de réflexion de la part des hiérarchies, les risques-sociaux suscitent une grande attente chez les professionnels.
Les actifs du secteur médico-social sont aujourd’hui confrontés à de grandes mutations, qui les contraignent à repenser complètement leurs méthodes de travail.
> La pression des coûts. Comme la plupart des secteurs d’activité, l’ESS (économie social et solidaire) est soumise à un impératif de limitation des dépenses. Les moyens viennent à manquer, les équipes se réduisent, tout comme le temps passé avec chaque patient. Parallèlement, les attentes de ces derniers se font plus « consuméristes » ; parce que le coût des soins augmente, ils en « veulent plus pour leur argent ». Et le personnel d’être tiraillé entre une hiérarchie (« rendement ! »), les patients et leur famille (« qualité !) et leur propre vision de leur mission. La distribution de leur temps et de leur priorité est remise en cause.
> Une population changeante. Le vieillissement de la population a bien sûr des répercussions sur le secteur médico-social. Outre les besoins accrues en main-d’œuvre (qui n’augmente pas aussi vite que la demande), il augmente redéfinit les missions : la dépendance des patients n’est plus souvent physique mais bien souvent mentale. D’où :
> La nouvelle question de la « bientraitance ». Aujourd’hui, l’accent est mis sur la nécessaire dignité du patient ; la mission du soignant consiste à favoriser le retour du patient à l’autonomie. Soit. Mais que faire lorsque ce retour est inenvisageable, lorsque la dépendance du patient se dégrade (pour les personnes atteintes d’Alzheimer, notamment) ?
Pour toutes ces raisons, les actifs évoluent dans un secteur à l’ambiance dégradée, aux tensions palpables qui débouchent sur une explosion des arrêts maladie. Ces derniers, en réduisant encore les effectifs, entraîne un véritable cercle vicieux.
Pascal Ughetto (sociologue, professeur à l’Université de Marne-la-Vallée) résume ainsi les contraintes qui pèsent sur le personnel soignant :
> Pénibilité physique. La dépendance des patients se traduit bien souvent par une incapacité à se mouvoir seul, à faire sa toilette ou s’habiller… autant de gestes du quotidien pris en charge par le personnel, qui doit donc déplacer des personnes, parfois contre la volonté de ces dernières.
> Pression temporelle. Faire autant en moins de temps, et avec des équipes restreintes. Réussir à concilier les ordres de rentabilité émanant de la hiérarchie et le besoin de parler des patients.
> Prescriptions multiples. Il y a ce que la hiérarchie demande, ce que le patient souhaite et ce que la famille du patient exige. Les trois ne concordent que rarement. Sans compter que, bien souvent, les familles ne parlent pas d’une seule voix : entre les enfants, les frères et sœurs, les oncles et tantes… la plus grande cacophonie règne souvent.
A tout cela s’ajoute une réglementation pas toujours en phase avec les impératifs du terrain. Sur la question de la maltraitance, notamment. Cette dernière, largement commentée dans les médias, est source de culpabilité pour le personnel soignant, qui voit son travail remis en cause. Hors, cette problématique mérite une réflexion de la part des équipes et des hiérarchies. Là où la loi dit « autonomie », les professionnels répondent « dépendance » et avance qu’une grande partie de leurs missions consiste à stimuler et exercer une contrainte sur les corps. La maltraitance consiste-t-il à aller contre les demandes du patient, alors même que celui-ci souffre d’un trouble mental ? Cette contrainte nécessaire du patient est augmentée par la pression temporelle évoquée plus haut, et qui pousse le personnel à privilégier la contrainte au dialogue, le « faire faire » et le « faire à la place de » au « faire avec » souhaité par la loi. Recomposer de l’humain, voilà qui est à la fois source d’intérêt et de pression pour les professionnels du secteur.
Tiraillé de toute part (entre la hiérarchie et le patient, entre ses missions et ses valeurs, entre ses tâches et les exigences des familles), le professionnel doit développer des compromis. Ce sont ces derniers qui lui permettront de garder le contrôle sur son travail. Sans eux, le personnel soignant risque de ressentir une oppression, un débordement, qui constitue un terreau très favorable aux risques psycho-sociaux.
C’est pourquoi la prévention de ces derniers passe nécessairement par la hiérarchie intermédiaire.
Et de rappeler que les risques psycho-sociaux ne sauraient faire l’objet d’une solution ponctuelle ; ils doivent faire l’objet d’une prévention et d’un souci permanents, rendant nécessaire l’implication totale de l’employeur. Pour rappel, les risques psycho-sociaux (RPS) représentent 21 % des problèmes de santé au travail, doublant ainsi les soucis osteo-articulaires. Dans le même temps, les maladies psychologiques (notamment la dépression) gagnent en exposition et reconnaissance.
P. Ughetto propose un outil de prévention simple : le dialogue. Organiser un dialogue dépassionné et une réflexion collective permettra de :
- Prendre la température. Bien souvent, la culpabilité et le mal-être ressenti par le personnel soignant n’est pas avoué mais intériorisé. En parler librement libère le collaborateur et permet à la hiérarchie de localiser les zones de tension.
- Souder les équipes. Le soignant est souvent isolé, que ce soit physiquement (les aides à domicile, par exemple) ou psychologiquement (ne souhaitant pas ce disqualifier en exprimant leurs interrogations). Organiser des réunions permet donc de rompre cette solitude.
- Légitimer. Lorsque l’action du soignant est remise en cause par une famille ou la législation, il est important pour lui de pouvoir s’appuyer sur son équipe et sa hiérarchie. Une décision est d’autant moins attaquable qu’elle est solidement assumée.
Enfin, les experts soulignent le lien existant entre le mal-être au travail et l’absence de reconnaissance. Ce constat permet de comprendre pourquoi les soignants à domicile (mobile et donc sans équipe ni preuve physique de leur appartenance à une société) sont particulièrement touchés par les RPS.