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Les entreprises poussées à l’exemplarité

28/04/2020

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L’objet social des entreprises, kézako ?

En apparence, l’intention paraît anodine, anecdotique même si on la compare avec le « big bang » annoncé pour le Code du travail ou l’apprentissage. Et pourtant, il aura suffi au gouvernement  d’annoncer son intention de récrire deux articles du Code civil (les n°1832 et 1833) pour provoquer une vive agitation du côté des patrons. « C’est une mauvaise idée au mauvais moment », tempête ainsi Pierre Gattaz, président du Medef.

Il faut dire que les articles visés le concernent directement, puisqu’ils définissent officiellement l’objet social des entreprises, c’est-à-dire leur fonction, ce qui doit être leur objectif et leur rôle dans la société. C’est quoi, une entreprise, et à quoi ça sert ?

La question est moins simple qu’en apparence. En effet, une entreprise a-t-elle vocation à créer des emplois ou à faire du profit ? Si les deux options sont importantes, laquelle est prioritaire en cas de conflit ? Enfin, une entreprise est-elle une entité indépendante et privée ou doit-elle remplir des fonctions civiques ? Le débat posé par le gouvernement est donc de l’ordre de la définition.

Des entreprises vertes et vertueuses ?

Pourquoi un tel bouillonnement patronal pour une réécriture qu’Emmanuel Macron avait déjà tenté d’imposer en 2015, dans la loi portant son nom ? L’étincelle qui a mis le feu aux poudres est venue de Nicolas Hulot, lors d’une visite au siège de l’organisation patronale. « Nous allons faire évoluer l’objet social des entreprises, qui ne peut plus être le simple profit, sans considération aucune pour les femmes et les hommes qui y travaillent, sans regard sur les dégâts environnementaux. »

Alerte chez les dirigeants : la RSE (responsabilité sociale des entreprises) et les engagements verts ne seront plus de l’ordre du volontariat, de la bonne volonté d’entreprises modèles, mais une obligation pour toutes. Elles seront ainsi redevables et pourront être attaquées en cas de manquement.

Ce désir de réforme s’inscrit dans un contexte particulier, celui d’une exigence accrue des salariés sur l’exemplarité des boîtes. Souvent pointés sur doigts pour leur instabilité professionnelle, leur sens du « zapping », les nouveaux actifs de la Génération Y choisissent leurs employeurs en fonction des engagements de ceux-ci.

Plus globalement, de nombreuses études soulignent la défiance des Français envers les entreprises, notamment les plus grandes. Ainsi, selon le baromètre Edelman (édition 2016), seuls 46 % d’entre eux ont confiance en leur employeur et ils ne sont que 31 % à juger les entreprises vertueuses. Toutes les enquêtes vont dans le même sens, certaines étant plus sévères que d’autres.

L’institut OpinionWay avance par exemple que nous sommes 56 % à ne pas faire confiance aux organisations pour créer de l’emploi et 68 % à douter de leur engagement environnemental. Autant dire que la révision du Code Civil ne validera pas un état de fait, mais sera plutôt une invitation à un changement de pratiques.

Etats vs Entreprises

Sauf qu’à les écouter,  les entreprises n’ont pas attendu une loi pour opérer ce changement qu’elles considèrent comme un levier d’attraction et de rétention des talents, comme un argument de communication. La RSE, le green washing, sont ainsi d’autant plus portés en étendard qu’ils sont bénéfiques au business. « La meilleure des incitations, c’est le marché lui-même », estime ainsi Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole.

Est-il donc nécessaire de récrire un article dont la dernière modification remonte à 1985 ? Les esprits les plus roublards vont jusqu’à voir dans ce projet de réforme un échec de la sphère politique, désormais incapable de porter seule la fonction de ciment social et de vertu civique qui la définissait. Minée par les affaires et la défiance populaire, elle obligerait l’entreprise à tenir le rôle du citoyen modèle.

Bien entendu, l’Institut Montaigne rejette cette nouvelle responsabilité, préférant rappeler la formule de l’économiste américain Milton Friedman : « The business of business is business ».

Le think tank libéral, pourtant très proche du gouvernement, estime que le profit qu’elles dégagent inclut de fait les entreprises dans la recherche de l’intérêt général, puisque la création de richesses finit par créer des emplois, augmenter les salaires, profiter à tous. Une déclinaison classique de la théorie du ruissellement.  

Sauf que là n’est pas vraiment de quoi il est question avec ce projet de réforme. Difficile en effet d’imaginer Emmanuel Macron, ex-ministre de l’économie, et Bruno Lemaire vouloir convertir les boîtes en organismes de charité. La question n’est donc pas de savoir si oui ou non le but d’une entreprise est de faire du profit (bien sûr, ne serait-ce que pour poursuivre son activité !), mais comment elle le fait. Et la réponse, à l’avenir, devra être « en prenant en compte les intérêts des parties prenantes et constituantes », c’est-à-dire des salariés aussi bien que des actionnaires, de l’environnement et de la société dans son ensemble.

Après la carotte, le bâton

Les « parties prenantes », c’est précisément la bête noire des chefs d’entreprise qui redoutent son caractère généraliste. Jusqu’où peut-on s’inclure dans ce terme, qui peut couvrir du fournisseur de matières premières à l’autre bout du monde au client final ? En étendant la définition, on multiplie les entités susceptibles de demander des comptes à l’entreprise et nourrit donc l’insécurité juridique.

Dans une économie aussi complexe que la nôtre, les connexions sont si nombreuses et floues que la notion de « parties prenantes » recouvre potentiellement n’importe qui. Or, on le sait, les entreprises détestent le flou, l’incertitude (ça nuit aux affaires !), tout autant que la contrainte (ça nuit à l’innovation !). Tranquillisées par la Loi Travail qui prétendait sécuriser les recrutements et ruptures de contrat, elles vivent la loi PACTE comme un retour de bâton, un deuxième effet kiss kool visant à donner des « gages de gauche » en tapant sur les patrons. Une réforme inutile, donc, éminemment politique.

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