Il y a encore quelques années, l’expatrié avait tout du roi du pétrole et le statut nourrissait un certain nombre de fantasmes sur les avantages et le niveau de vie qu’il occasionnait.
Mais aujourd’hui, ces bons côtés de l’expatriation ont tout de la chimère, du souvenir doré. Confrontées à des impératifs de réduction des coûts, les grandes entreprises sont contraintes de revoir leur politique d’expatriation.
Famille : attention aux fractures
Lorsque se pose la question d’une expatriation, il est une erreur que les entreprises ont souvent faite : celle d’envisager la situation à l’échelle individuelle.
Le consentement du salarié et sa capacité à se montrer opérationnel sur son nouveau terrain de jeu étaient alors les deux seuls curseurs à même de décider de la réussite d’une mission d’expatriation.
Sauf que, sur le terrain, la réalité est toute autre : 75 % des échecs d’expatriation sont à mettre sur le compte de problèmes familiaux.
Dans le couple, deux scénarios périlleux existent. Celui, tout d’abord, du conjoint qui refuse de partir et laisse alors au futur expatrié le choix du divorce ou de la relation à distance, cette dernière débouchant bien souvent sur une jalousie irrespirable.
Pour le salarié voyageur, partir les valises pleines de culpabilité n’est sans doute pas le terreau idéal sur lequel bâtir son projet. Mais il y a aussi et surtout le conjoint qui part, qui accepte de quitter sa propre situation professionnelle pour booster celle de l’autre. Si son insertion sur place s’avère compliquée, il peut vite exprimer du ressentiment et de l’injustice à l’idée d’avoir sacrifier sa carrière pour celle de sa moitié, sans rien y gagner en retour.
Cette deuxième situation est bien souvent celle des épouses d’expatriés. En effet, si elles présentent aujourd’hui un niveau d’étude équivalent à celui de leur mari et sont 80 % à souhaiter travailler dans leur pays d’accueil, seules 50 % d’entre elles y parviennent. Il faut dire que nombre d’expatriations s’opèrent aujourd’hui dans des pays où la place de la femme n’est pas franchement perçue comme étant dans l’entreprise.
Il est donc nécessaire de réfléchir à l’expatriation à plusieurs, en intégrant son conjoint et ses enfants au processus de décision. Les entreprises l’ont bien compris et sont de plus en plus nombreuses à proposer des formations et places dans des entreprises ou associations partenaires dans le pays d’accueil. Tout le monde y gagne : le salarié qui part le cœur léger et l’entreprise, qui diminue les risques de devoir avorter la mission au bout de quelques mois et assumé les coûts en résultant.
Les expat’ cuisinés à la sauce locale
Un expatrié coûte à son employeur entre deux et trois fois plus cher qu’un salarié lambda en raison de tous les frais périphériques liés à sa formation, son installation, etc.
C’est pourquoi, en ces temps de réduction des coûts, la question des expatriés est délicate. Si l’expatriation constitue encore aujourd’hui une étape décisive dans toute carrière ambitieuse, elle est aujourd’hui nettement moins favorable aux salariés concernés.
Parmi les grandes tendances des employeurs, deux sont particulièrement marquées :
- La préférence des contrats locaux. Auparavant, le contrat d’expatrié permettait à ce dernier de bénéficier des conditions d’emploi de son pays d’origine. Bien que domicilié au Brésil ou à Bombay, il bénéficiait ainsi du barème de rémunération et de la sécurité sociale français. Aujourd’hui, la préférence va au contrat local, qui aligne l’expatrié sur le marché de l’emploi local.
- Le contournement de l’expatriation au tant que telle, à laquelle on préfère de plus en plus les voyages d’affaire prolongés ou un système d’ « alternance géographique » où le salarié fait des allers-retours fréquents d’un pays à l’autre.
Les expatriations pures et dures sont également raccourcies, avec une durée moyenne comprise entre un et deux ans.
Ça s’en va et ça revient… difficilement
On s’imagine que partir et s’intégrer dans un autre pays constituent une épreuve insurmontable. Celle-ci peut paraître bien dérisoire à l’heure du retour, tant les difficultés se multiplient pour le salarié. De quoi expliquer que 42 % des expatriés se disent inquiets à l’idée de revenir au pays.
Outre les soucis rencontrés auprès des administrations françaises qui peinent à réguler les expatriés (les démarches peuvent prendre entre six mois et un an !), c’est au sein même de l’entreprise que le salarié va rencontrer le plus d’adversité. En effet, selon un sondage BVA, ils ne sont que 19 % à estimer que leur employeur les a aidés à se réinsérer dans l’organisation et réussir leur phase de réadaptation. Confronté à un organigramme bien différent de celui qu’ils ont quitté, ils ont souvent du mal à trouver leur place.
Le même sondage montre ainsi que seuls 35 % des « revenus » jugent que leur entreprise a pris en compte leur choix de poste lors de leur retour.
Plus globalement, auprès de la famille et des collègues, l’expatrié a du mal à valoriser les acquis de son expérience. Difficile en effet de partager les nombreuses expériences vécues sans perdre de vue que les interlocuteurs eux aussi ont évolué et vécu des choses. Se rendre compte que la vie a continué sans lui et que son expérience n’a pas plus de valeur que celle des connaissances laissées « sur place » peut constituer un choc pour l’expatrié.
Au sein de l’entreprise, il peut avoir du mal à prouver la valeur des savoir-faire appris, surtout lorsque le pays d’accueil était moins développé.
Il convient donc, pour l’expatrié, de garder contact tout au long de son séjour hors de nos frontière avec son réseau français, afin d’actualiser en temps réel ses informations sur sa boîte et ainsi éviter une grosse et déstabilisante mise à jour au retour. Enfin, afin de se refondre aisément dans les équipes, il est conseillé de ne pas parler de son expérience personnelle (qui n’intéresse pas grand monde) mais uniquement des particularités susceptibles d’être utiles à l’entreprise. Il sera alors facile d’effacer son étiquette d’ex-expatrié.
Quelques chiffres sur l’expatriation
France se classe 12e (sur 34) des pays de l’OCDE en termes du nombre d’expatriés. On estimait qu’environ 2,5 millions de Français vivent à l’étranger. Les expatriés français privilégient surtout l’Europe occidentale (qui reçoit 49 % d’entre eux) ; l’on constate malgré tout un boum des départs en direction de l’Asie et un recul des Etats-Unis, dont les conditions administratives sont si sévères qu’il est bien souvent plus aisé de recruter localement. Seuls 20 % des expatriés sont des femmes. Les employeurs rechignent en effet à les envoyer à l’étranger en raison des coûts induits par les enfants, mais surtout en raison de la place accordées femmes dans certains pays. Les villes préférées des expat’ (selon le magazine Challenges) : 1. Vienne (Autriche) 2. Zurich (Suisse) 3. Aukland (Nouvelle-Zélande) Paris, première ville française, n’arrive qu’à la 27e place. Sans surprise et depuis de nombreuses années, la ville la moins favorable au bonheur des expatriés est Bagdad (Irak). |