Début novembre, le Brésil a adopté une réforme des conditions de travail de grande ampleur. Bien dans l’air du temps, elle se veut outil de flexibilité et de sécurisation des embauches, avec ce que cela implique de précarisation des contrats de travail et de prise de décision au plus près du terrain. Sur fond d’affaires de corruption à la pelle et d’impopularité record du gouvernement, les Brésiliens protestent.
Il y a un je-ne-sais-quoi de français dans l’air de Rio, en ce moment. Ouvrir un journal, c’est tomber à coup sûr sur les termes d’acordos colectivos (accords collectifs), de precariedade laboral (précarisation des contrats) et de Justiça do Trabalho (justice prud’homales). Ecoutons le Président Michel Temer : « Sans enlever des droits, la loi a été modernisée et a permis de faire rentrer dans le système des travailleurs qui en étaient exclus ». L’illusion est parfaite.
Le 11 novembre dernier, le Brésil a en effet définitivement adopté sa loi de « modernização trabalhista » (modernisation laborale) sur les « direitos garantidos e novas oportunidades » (droit garantis et nouvelles opportunités). Ne serait-ce l’exotisme linguistique, l’on pourrait croire à une copie de notre Loi Travail française tant le contenu en est similaire. Le texte prévoit entre autres choses la possibilité de négocier les conditions de travail au plus près du terrain, la primauté des accords collectifs sur la loi ou encore l’extension des contrats précaires « intermittents » à tous les domaines d’activités. Ces derniers permettent à l’employeur de recourir au salarié quelques jours ou quelques heures selon les besoins et se rapprochent ainsi des contrats « zéro heure » anglais, à l’origine d’une explosion du nombre de travailleurs pauvres au Royaume-Uni. Dans un pays déjà fortement inégalitaire tel que le Brésil1, les retombées d’une telle mesure peuvent inquiéter. Les journées de travail pourront par ailleurs atteindre douze heures, dans la limite de 48 heures hebdomadaires. Le Ministre du Travail Ronaldo Nogueira se veut rassurant ; selon lui, ces nouvelles flexibilités permettront de créer cinq millions de nouveaux emplois dans un pays qui compte aujourd’hui treize millions de chômeurs. Aujourd’hui, le taux de chômage du géant latino frôle les 13 % (un record) et atteint même les 30 % chez les jeunes.
Les expériences passées et présentes ont de quoi rendre sceptiques. En 1998, la création du temps partiel et des CDD n’avaient pas franchement bouleversé le marché du travail local. « Cette réforme a été conduite dans le dialogue social nécessaire », regrette Daniela Muradas, professeure de droit du travail citée par El País. « Et bien qu’elle prône la mo(dernisation, elle s’appuie sur des ressorts de flexibilisation du travail déjà essayés dans quelques pays d’Europe et qui n’ont pas fonctionné. » D’autant plus que le texte brésilien va parfois très loin dans l’assouplissement des conditions de travail en réduisant le temps de pause déjeuner à trente minutes (contre une heure auparavant) et en autorisant les employeurs à faire travailler les femmes enceintes dans des lieux insalubres (sur la base du volontariat…). Difficile d’imaginer comment ces mesures aideront les entreprises à recruter ou en quoi elles conforteront les droits des salariés, comme le promet le titre du texte.
Et puis il y a le contexte, une addition d’éléments dont cette Loi Travail n’est qu’une composante mais qui risque de transformer le pays en poudrière. Depuis cet été, le gouvernement réfléchit en effet à une réforme des régimes de retraite, là aussi très dure et très vivement critiquée. Des manifestations anti-gouvernement ont ainsi ponctué le début de l’été et le mois de novembre, en vain. Déjà très impopulaire (entre 5 et 10 % d’opinions favorables), non-élu et non-candidat en 2018 , le président Temer fait ce qu’il veut. Après lui, le déluge.