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La rumeur, arme de destruction massive en entreprise

21/02/2020

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Je traverse les villes et villages, m’immisce dans les médias et les entreprises ; partout, je cause d’énormes dégâts. Je suis, je suis… la rumeur !

Comme un bruit de fond intempestif, comme une petite musique qui nous rentre dans le crâne, celle-ci fait et défait les carrières, pèse sur les décisions stratégiques et chamboule les organigrammes.

La rumeur, on peut la subir ou en profiter. Votre statut –victime, bourreau ou simple relais–dépend de votre capacité à sentir ce vent qui se lève et analyser dans quel sens il va souffler.

Comment reconnaître une rumeur ?

Mine de rien, il est devenu bigrement difficile de repérer une rumeur, ou du moins de la distinguer d’une information en bonne et due forme. Et ce n’est pas la véracité de l’une ou de l’autre qui peut aider. « Savoir si une rumeur est vraie ou fausse, on s’en fout ! », « Si tout le monde y croit, alors elle devient vrai. 

Une rumeur dans la bouche de David Pujadas devient une information. » La frontière réside donc dans la crédibilité non pas du contenu mais de l’émetteur, l’une étant officielle et l’autre, simplement officieuse. L’une peut également donner naissance à l’autre ; l’on parle alors de prophétie auto-réalisatrice.

Laisser entendre qu’on s’attend à une pénurie de sucre, c’est pousser les consommateurs à se ruer dans leurs supermarchés pour constituer des réserves, et donc mathématiquement réduire la quantité disponible sur les étalages. Magie du on-dit.

Mais certains traits trahissent la rumeur.

Ne reposant généralement sur rien d’autre que l’air qu’elle brasse, celle-ci se cache sous des artifices grammaticaux tels que l’usage du conditionnel, la périphrase, le style indirect ou la description inutilement détaillée.

Dans le plus pur style Pujadas, donnons cet exemple ultime d’info-rumeur : « Selon une source proche du dossier, il y aurait des victimes. » Nul besoin de préciser que le conditionnel deviendra bien vite indicatif et que les victimes se multiplieront au gré des interlocuteurs relayant le propos, selon le principe ADUA (ami d’un ami).

En effet, la sociologie moderne a souligné que nous avons tendance à garder deux échelons de séparation entre soi et une histoire que l’on rapporte. Aussi, malgré le mouvement naturel d’éloignement dû à la propagation de la rumeur, les échelons seront gommés au fur et à mesure, plus ou moins consciemment, de sorte que l’événement relaté sera toujours arrivé à « l’ami d’un ami », au fils de votre concierge, au cousin de votre collègue, à « Laura de la compta qui le tient de Paul à la com ».

Comment lancer une rumeur ?

Une bonne rumeur tape vite et fort ; elle ne s’encombre donc pas du temps de l’analyse. Aussi la règle d’or pour mettre toutes les chances du côté de son conte est-elle de « garder l’interlocuteur en mode cognitif bas ». En clair, moins on pense, plus on est enclin à propager des racontars sans trop se poser de question.

Il convient donc d’ancrer son bobard dans une émotion fondamentale : le rire, le dégoût, la colère ou la peur. Tous les ragots, des excréments dans les pâtisseries Ikea au téléphone portable favorisant les tumeurs au cerveau en passant par les activités occultes des grands patrons, s’inscrivent dans l’une de ces quatre émotions. La raison en est très simple : celles-ci sont gérées par la sphère « limbique » du cerveau qui, une fois activée, court-circuite les zones de développement de l’analyse. En résumé, si votre rumeur est drôle ou révoltante, elle n’aura même pas besoin d’être crédible pour trouver son public. Qui irait se risquer à déguster une tarte chez Ikea ? On ne sait jamais, il n’y a pas de fumée sans feu.

On croit d’autant plus une rumeur qu’elle valide un stéréotype. Inutile, en effet, d’aller s’interroger sur la véracité d’un récit qui évoque un patron exploiteur, un politique menteur ou un fonctionnaire paresseux. C’est bien connu. Inconsciemment, l’individu traite le réel par catégorisation ; chaque élément nouveau est rentré (plus ou moins aux forceps) dans des petites cases rassurantes car bien connues. Tout ce qui ne correspond pas au schéma bien connu oblige à prendre du recul, à analyser, et n’est donc pas favorable à la rumeur. « Il ne faut pas se montrer innovant dans la rumeur ». Un bon gros cliché susceptible de décrocher un « je le savais ! » à l’interlocuteur, voilà le terreau favorable sur lequel semer les ragots.

Quand lancer une rumeur ?

Le succès d’une rumeur est également fonction de son calendrier ; certains moments sont en effet nettement plus favorables que d’autres. Afin de pouvoir capitaliser sur les émotions fondamentales citées ci-dessus, il convient d’attendre des moments de « mise sous tension ». « Ils sont très faciles à mettre en œuvre en entreprise »,élections internes, signature d’un gros contrat ou une menace (possibilité d’un rachat, réorganisation) comme parfait moment pour opérer.

Il appuie son conseil sur les travaux du psychologue américain Stanley Schachter, qui a observé le rôle des émotions sur les relations entre les individus. Sa conclusion : l’anxiété conduit à la grégarité. Autrement dit, un groupe d’individus sous pression aura tendance à se resserrer, à échanger. Le tout sans perdre de vue l’excitation du cerveau « limbique », émotionnel, qui coupe la capacité d’analyse et la temporalité des échéances qui laisse peu le loisir de prendre du recul. Une ambiance pesante dans une entreprise alimente donc nécessairement « radio ragots ».

A noter : l’état d’esprit des salariés joue grandement dans leur propension à relayer les racontars entendus à la machine à café. C’est ce que l’on appelle le « traitement hédoniste de l’information ». Un individu de bonne humeur souhaite le rester ; il a donc tendance à envisager les données reçues dans leur globalité, sans avoir envie de « chercher la petite bête » en s’attardant sur les détails ou s’interrogeant sur la crédibilité de ce qu’il entend. A l’inverse, un grincheux ne prend rien pour argent comptant et remet tout en question. Conclusion : pour une rumeur solide, il convient de miser sur les « imbéciles heureux ».


Comment contrer une rumeur ?

Comme le microbe, la rumeur a une espérance de vie à trois semaines. La tentation est donc grande pour les victimes de « faire le canard » et attendre que la vox populi se trouve une nouvelle cible. Une attitude pas forcément conseillée par notre spécialiste, qui souligne le caractère incontrôlable de la rumeur ; une fois lancée, et en l’absence de pare-feu, elle peut grossir jusqu’à devenir incontrôlable.

Il faut donc agir, et le réflexe habituel –démentir et attaquer pour diffamation– n’est pas forcément le meilleur. « Porter plainte est contre-productif car cela empêche la croyance de mourir ». « De trois semaines, on passe à plusieurs années » correspondant au temps de la justice, une période pendant laquelle le nombre de personnes ayant connaissance du ragot croît de façon exponentielle. « De même, « démentir ne marche jamais ». Opposer à une histoire un simple « c’est faux », c’est réfuter une histoire sans proposer de version alternative. Et quand bien même : au jeu du « c’est ta version contre la mienne », votre interlocuteur ne vous fera jamais le cadeau de remettre en doute ses convictions. 

Entre le silence masochiste et les grands cris d’orfraie, il existe une troisième voie qui nécessite une certaine adresse intellectuelle et consiste à aller dans le sens de la rumeur pour mieux en souligner le caractère excessif. C’est prendre le reproche qu’on vous lance à la figure et, au lieu d’émettre un démenti « retour à l’envoyeur », le porter comme une couronne. C’est Mitterrand qui, interrogé sur la grave maladie dont on le dit souffrir, répond qu’il est effectivement un peu enrhumé. C’est McDonald qui, accusé de proposer des steaks à base de vers de terre dans ses hamburgers, invite ses consommateurs à comparer le prix du kilo de vers et du kilo de bœuf.

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