Autrefois moyen privilégié des ouvriers de se faire entendre des entreprises et de l’Etat, la grève continue d’être un événement quotidien en France. Retour sur cette habitude du conflit qui n’a absolument rien de nouveau.
Avec les 36 jours de grève annoncés par la SNCF, cette « coutume » reste sur de bons rails en termes de statistiques. Sauf qu’elle l’est moins en termes de popularité puisque 68% des femmes et 62% des hommes se disent non solidaires de cette grève. Même les entreprises s’en plaignent, de façon générale, en confiant pour 69% d’entre elles que les grèves font souffrir leur activité. En résumé, la situation ne satisfait personne mais on n’en sort pas pour autant… A tel point qu’un site recense et comptabilise les grèves ayant lieu en France.
Certes, la grève est reconnue comme un droit à tous les salariés, dans le secteur privé comme public, depuis la constitution de la 4ème république du 27 octobre 1946 (article 7 du préambule) mais il aura fallu passer par de nombreuses confrontations.
Les régimes se succèdent, les lois coercitives également
Déjà en pleine monarchie féodale, le « gouvernement » prenait les choses en main pour couper tout mouvement des « travailleurs ». Le pouvoir législatif appartenant alors au Roi, les choses sont assez simples pour François 1er : il interdit les assemblées de maîtres, compagnons et serviteurs. Pourquoi ? En réaction à une grève des typographes lyonnais. Un rapport de force pur et dur qui restera d’actualité sous toutes les monarchies, jusqu’à la révolution avec le décret D’Allarde et la loi Le Chapelier. Cette dernière, datant du 14 juin 1791, proscrit les organisations et rassemblements ouvriers et paysans.
Changement de régime… mais aucun changement de réflexion. Lors de la Première République, sous le premier consul, Napoléon Bonaparte créé le livret ouvrier le 12 avril 1803. Son positionnement est assez clair : les rassemblements ouvriers dans le cadre d’un arrêt du travail sont réaffirmés comme illégaux et considérés comme « un délit de coalition ». Donc sanctionnables… Politiquement, il s’agit d’empêcher l’apparition de corps intermédiaires (ici, une corporation) entre l’Etat et le citoyen, en instaurant un contrôle du monde ouvrier. Puis du monde agricole.
Un face-à-face qui s’impose comme le fonctionnement habituel en France puisque près de 10 000 ouvriers sont emprisonnés pour fait de grève entre 1825 et 1864. Ce jusqu’à la loi Ollivier qui abroge le délit et instaure le droit de grève le 25 mai 1864. Sauf que les conséquences restent énormes : la grève équivalait à une rupture du contrat de travail (licenciement du salarié) ou à une intervention de l’armée. Nous étions encore bien loin de l’époque actuelle, où le seul impact correspond à une perte de salaire équivalente à la durée de grève (ex : 1/30ème par journéepour les agents de l’Etat et de ses Etablissements Publics Administratifs).
Un premier pas vers l’avant suivi d’un recul de deux pas sous le régime de Vichy. Le 4 octobre 1941, la loi dite « Charte du travail » interdit de faire grève en France et pose le principe des syndicats uniques et obligatoires. Heureusement, cinq ans plus tard, les choses repartent vers plus de dialogue, de tolérance et de bon sens. Tout vient à point à qui sait attendre.
Conditions, exceptions et limitations
Le droit de grève dépend bien entendu du respect de certaines conditions pour ne pas être illicite. Ainsi, il doit être collectif, entraîner un arrêt total du travail et être justifié par des revendications d’ordre professionnel. Sinon ? Le salarié s’expose à une sanction pour faute lourde. Voilà pour ce qui est du contexte général.
Passons désormais aux particularités de chaque secteur. Alors que dans le privé, il n’y a pas de préavis à respecter sauf obligation par la convention collective, le public doit respecter le délai de 5 jours francs (hors week-ends et jours fériés) pour donner le préavis aux autorités hiérarchiques. Avec une obligation pour les services publics, comme les transports, de respecter cette condition, que l’entreprise soit privée ou publique.
Ce qui nous amène aux exceptions et limitations concernant toutes les fonctions régaliennes. Les personnels et agents assurant le fonctionnement des services indispensables à l’action gouvernementale (sécurité, transport, infrastructure, etc) peuvent recevoir l’ordre de rester à leur poste en cas de grève. Et ceci peut aller du service minimum imposé comme dans le contrôle aérien, la télévision ou la radio à l’interdiction pure et simple de faire la grève chez les CRS, la police ou les magistrats.
Les employés sont-ils alors complètement bâillonnés ? Eux en personne, directement, oui, mais il existe toujours une solution. Pour dénoncer leurs conditions de travail dans l’Opération Sentinelle, les militaires firent porter leur message par leurs femmes lors d’une manifestation à Paris le 26 août 2017. Autre contorsion du règlement, celle des policiers qui organisèrent un concours photo à l’initiative de l’Union des policiers nationaux et indépendants pour faire connaître leurs (mauvaises) conditions de travail.
Quand la violence étatique devenait réelle et physique
Encore aujourd’hui, il n’est pas rare que les médias fassent leurs gros titres avec d’éventuels débordements et affrontements entre grévistes et forces de l’ordre. Quelles qu’en soient les raisons et l’origine, force est de constater que le duel physique se reproduit souvent. Un fait à éradiquer, évidemment. Tâchons de voir le positif et l’amélioration par rapport aux événements passés.
Initiateurs des révoltes ouvrières, les canuts lyonnais (des tisseurs de soie) furent sévèrement réprimés sous la Monarchie de Juillet. En 1831 avec des arrestations et poursuites judiciaires, en 1834 avec des peines de prison, des déportations et assassinats pour plusieurs centaines d’entre eux, par l’armée (qui, elle aussi, perdit des hommes).
Des drames qui ne sont hélas pas resté des événements isolés. Quatorze mineurs en grève seront abattus à Ricamarie en 1869, puis ce sont neuf ouvriers qui connaissent le même sort lors de la fusillade de Fourmies le 1er mai 1891. Alors que prenait place la 1ère célébration française et internationale du 1er mai, les ouvriers clamaient pacifiquement : « C’est les huit heures qu’il nous faut. » Réponse de l’armée : des tirs tuant neuf personnes et en blessant 35 autres.
Le passé récent s’avère moins sanglant. En 1936, pour bénéficier d’une hausse de 20% des salaires, d’une extension des conventions collectives et institution de délégués du personnel, de la semaine de 40 heures et de 15 jours de congés payés, aucun dégât humain ne fut à déplorer. Mais il aura tout de même fallu plusieurs mois de grève générale pour parvenir aux accords de Matignon, après la victoire électorale du Front populaire. Difficile de dire que le dialogue fut rapide, les échanges efficaces et le compromis facile.
Du mieux, vraiment ?
Si la grève est devenue, au cours du 20ème siècle, « un fait social incontournable » selon l’historien Stéphane Sirot – avec plus de 1 000 conflits en 1904 -, elle tend à se produire moins souvent ces dernières années. Alors qu’en 2016, la France cumulait 80 jours de grève pour 1 000 salariés (3ème en Europe derrière Chypre et le Danemark) et atteignait un chiffre deux fois plus élevé que la moyenne du Vieux Continent, il faut aussi souligner que les chiffres baissent continuellement depuis trois ans. Le site cestlagreve décomptait 966 grèves en 2015, 801 en 2016 puis 712 en 2017.
Une diminution due en partie aux faibles mobilisations dans le secteur privé depuis trois décennies mais aussi à l’évolution des formes de contestation. Aujourd’hui, ont lieu de plus en plus d’arrêts de travail de très courte durée (quelques minutes ou heures, à répétition) qui suffisent à désorganiser une production sans se montrer aussi coûteuses que la grève « classique ». Et ces conflits sociaux sont difficilement comptabilisés par les organismes comme la DARES. En résumé, l’amélioration des relations employés-entreprises reste sujette à quelques doutes. Par contre, un fait ne l’est pas : l’argent reste le nerf de la guerre.