Philippe Ginestet, originaire du Lot-et-Garonne est un autodidacte, président-directeur général et fondateur de GIFI. Ouvrant son premier magasin en 1981, il en possède aujourd’hui 420 sur le territoire Français. Avec ses 4 800 collaborateurs, il est devenu le leader de la distribution de produits non-alimentaires. Récompensé avec le label du top employeur pour la deuxième année consécutive, Philippe Ginestet revient avec nous sur quelques étapes de sa carrière et sur son engagement dans l’évènement « j’aime ma boite » organisé par Sophie de Menthon à l’occasion de la fête des entreprises le jeudi 2 octobre 2014.
« Pourriez-vous présenter GFI en quelques mots ?
Gifi comprend 420 magasins et 4800 collaborateurs. Aujourd’hui est un jour pas comme les autres (23 septembre 2014) puisque nous venons de passer le milliard du chiffre d’affaires.
D’où vous est venue l’idée de vous lancer dans l’équipement d’intérieur ?
J’ai eu envie de démarrer sur les marchés, étant moi-même issu d’une famille de marchands de bestiaux. Ensuite, j’ai vendu des aspirateurs en porte à porte et je me suis dit que finalement je savais acheter, je savais vendre, je l’avais prouvé chez Electrolux où j’étais l'un des meilleurs représentant sur une équipe de 2 000 commerciaux. Puis j’ai eu envie de me mettre à mon compte, je pensais avoir tous les ingrédients pour devenir un petit commerçant. Rapidement j’ai commencé à faire les braderies, parce que dans les braderies il y a plus de monde que sur les marchés, ce qui m’a amené à parcourir toute la France. Les braderies, c’est un évènement annuel dans toutes les villes, ce qui m’a poussé à avoir mon camion avec toute ma marchandise et ma maison derrière, c'est-à-dire la caravane. C’est là que je suis devenu un commerçant sédentaire. Puis j’ai eu un fils, qui a été élevé avec nous dans la caravane ; à l’âge d'aller à l'école, j’ai pris la décision d'ouvrir un premier magasin pour nous fixer à Villeneuve-sur-Lot qui est ma ville natale. Je pensais ouvrir un magasin comme tout le monde dans une rue commerçante bien sûr, mais je n’en avais pas les moyens. J’ai alors trouvé un grand magasin puisqu’il faisait à l’époque 300 m2, mais celui-ci était perdu dans la campagne. Je ne savais pas réellement ce que j’allais y vendre, mais je m’étais engagé au mois de juillet et il fallait l’ouvrir au mois de septembre. Comme j’étais tout le temps sur les marchés, j’ai repéré la marchandise qui se vendait bien et j’ai rempli mon magasin de ces produits qui me semblaient attractifs. A ce moment là, il a fallu que je trouve un nom au magasin ; riche de mon expérience sur les braderies j’ai remarqué que les solderies étaient des choses qui marchaient bien, donc je me suis dit « et bien moi mon magasin ce sera une solderie », donc ça s’appellera « le soldeur ». Mais le soldeur c’est plus sympa si on lui donne un nom, donc j’ai fait les choses simplement « GI » de Ginestet « FI » de Philippe « GIFI le soldeur ». Comme je n’avais pas le droit de me tromper, qu’il fallait que je surprenne, que j’étonne, j’ai mis « Enfin le vrai soldeur GIFI » à Villeneuve-sur-Lot. C’est comme ça qu’est né le premier magasin.
Les trois premières années suivant l’ouverture d’une entreprise sont souvent les plus dures, comment a évolué GIFI sur les cinq premières années ?
Votre question est intéressante parce que justement quand j’ai ouvert ce premier magasin, qui a attiré beaucoup de clients, j’ai un premier conseiller qui est venu me voir et qui m’a dit « Philippe est-ce que tu penses que ça va durer ? Le commerce c’était bon il y a dix ans de cela, mais maintenant c’est terminé et dis toi bien que si ça marche c’est parce que c’est l’effet ouverture, mais après tu vas faire comme les autres et ça va retomber ».
A ce moment là, j'ai envisagé le fait qu'il puisse avoir raison, j’ai donc décidé de me spécialiser dans les ouvertures et fermetures de magasins, comme ça je créerais tout le temps l’évènement et j’aurais tout le temps du monde dans mes boutiques. Je me suis alors empressé de trouver un deuxième magasin, pour fermer le premier. J’ai trouvé le deuxième magasin, mais je n’ai jamais fermé le premier ! Par la suite, j’ai trouvé un troisième magasin, puis un quatrième. Et c'est à ce moment qu'un deuxième conseiller est arrivé et m'a dit « mais Philippe tu ne penses pas que tu es en train de faire n’importe quoi ? Tu es en train d’ouvrir un quatrième magasin à Bordeaux et tu vas y mettre des étrangers », en référence aux employés que j’allais mettre dans le magasin. Comme le premier magasin était tenu par ma femme, le deuxième par ma maman, le troisième par ma marraine, c’est vrai que je n’avais plus de famille à mettre dans mes magasins et c’est ce que lui appelait les étrangers - les employés extérieurs à ma famille-. Je l’ai écouté et j’en ai conclu qu’aujourd’hui, s’il y avait 150 Francs à gagner, on les gagnait. Mais demain, avec ce que lui appelait les étrangers, peut être qu’il n’y aurait que 100 francs à gagner, mais au moins cela me permettrait de me développer. Donc j’ai choisi de leur faire confiance et, qui sait, je gagnerai peut-être même les 150 Francs ! J’ai ainsi misé sur mes premiers collaborateurs et je pense que ça a été le début de la réussite de GIFI, puisque c’est réellement ce qui m’a donné envie de continuer pour permettre à certaines personnes de progresser, de prendre des responsabilités et de devenir éventuellement responsable de magasin.
Avez-vous eu des aides financières dès le départ ou avez-vous contacté des investisseurs extérieurs ?
Je n’étais pas associé à l'origine. Vous n’avez pas d’aides lorsque vous débutez, on vous demande d’abord de faire vos preuves en amont, ce qui est dommage parce que c’est souvent au départ que l’on a besoin d’aide. Mais ma réussite chez Electrolux et mes quelques années passées sur les marchés, m’avaient permis de mettre les sommes nécessaires de côté pour pouvoir payer quasiment comptant la marchandise que j’allais mettre dans ce premier magasin qui ne faisait à l’époque que 300 m2. Et parfois je donnais du volume aux marchandises ; c’est-à-dire que vous mettez une table, des cartons, un autre article, vous théâtralisez la marchandise, vous les présentez de façon pertinente et il vous semble qu’il y en a une kyrielle, alors qu’en réalité il n’y en avait pas tellement que cela.
Ma marraine était en quelque sorte mon associé mais au même titre que mes collaborateurs. Au début je n’avais qu’une idée en tête, c’était à chaque fois de créer et d’associer mes collaborateurs à la création de magasins. C’est six ou sept ans après que c’est devenu compliqué et qu’il y avait d’autres moyens d’intéresser mes collaborateurs que de leur faire prendre des participations dans des sociétés dont ils ne toucheraient les bénéfices que dans dix ou quinze ans. Il y avait d’autres moyens, comme par exemple les stocks options. J’en ai distribué il y a cinq ans de cela et je viens seulement de les payer, j’ai distribué pour 7 millions d’euros de stock options. Mais contrairement aux autres entreprises qui les distribue aux dirigeants, je les verse aux personnes qui travaillent dans mes magasins et selon leur ancienneté (ils reçoivent des stocks option proportionnellement au temps passé dans l'entreprise).
A partir de quand avez-vous décidé d’exporter vous magasins à l’étranger?
Ça doit faire quatre ans de cela. Parce qu’aujourd’hui, dans toutes entreprises, il faut qu’il y ait un objectif et c'est positif pour les entreprises et pour les collaborateurs. « Que pense faire mon entreprise demain ? ». Chez nous c’est clair, aujourd’hui nous avons 420 magasins, notre objectif est de s'étendre à 1000 magasins et avoir au moins 10 000 collaborateurs. Lorsqu'on s'étend aussi vite sur le territoire national, il faut avoir des objectifs à l’international.
Avez-vous déjà rencontré des difficultés ?
J’ai rencontré des difficultés stratégiques, comme des difficultés de croissance externe. Nous avons racheté il y a dix ans de cela une société de textile, ça n’était pas exactement le même métier même si c’était de la distribution, et nous n’avons pas réussi à la relancer. Nous l’avons donc recédé sans faire perdre des emplois heureusement. Dans la même période, nous avions des difficultés logistiques, alors que nous étions en pleine croissance. La livraison étaient concentrée à Villeneuve-sur-lot, nous avons voulu externaliser notre logistique par un prestataire du nord qui n’a pas pu assumer ses responsabilités et qui a mis pendant un certain temps l’entreprise en difficulté. Nous avons donc décidé de confier la tâche à un second prestataire logisticien de la société Bills, qui lui s'acquitte parfaitement de sa tâche. Mais à aucun moment GIFI n’a été menacé de fermeture.
L’utilisation d’internet a t-elle eu un effet « carburant » sur vos ventes ?
Pas exactement, mais internet a cet aspect positif de permettre la communication directe avec le client et de mieux cerner ses attentes. Néanmoins, en termes de chiffre d’affaires, la part d’internet représente celle d'un seul magasin. Internet propose un quart des articles présents en magasin (5 000 sur internet contre 20 000 en magasin), le site permet de tester l’engouement des clients pour un produit, si ça prend sur internet, on en commande alors en plus grande quantité en magasin.
Quel conseil avez-vous à donner à un jeune qui souhaite devenir entrepreneur ?
Pour qu’il devienne entrepreneur comme dans n’importe quelle mission dans laquelle il pourrait s’engager, c’est d’abord avoir un objectif bien déterminé. Il faut qu’il sache ce qu’il souhaite réaliser, il doit vouloir s’investir afin de réaliser son objectif. Il doit avoir la volonté de s'impliquer et surtout croire en son entreprise si c’est un collaborateur, croire en ses objectifs si c’est quelqu’un qui se met à son compte et ne pas avoir peur de l’échec. Ça doit devenir une force qui permet de mieux rebondir, il faut avoir confiance.
Vous participez à l’évènement « j’aime ma boite », est-ce la première année?
Oui c’est la première année, puisque j’ai découvert qu’il existait la fête de l’entreprise l’année dernière lors d’une émission de télévision. Et je me suis dit que l’on devait participer à cette fête parce que ça correspondait bien à l’entreprise. J’ai donc souhaité rencontrer cette personne qui avait eu cette sublime idée, Sophie de Menthon, que j’ai eu la chance de voir lors d’un séminaire avec mes collaborateurs. A ce moment là, nous avons discuté ensemble et elle me dit « pourquoi vous ne feriez pas une chanson ? » ; comme j’était en présence de Manolo (la voix des Gypsies nldr), on a composé ensemble une chanson, et ça c’était une première ! Chacun de nos collaborateurs a participé, sous l’impulsion de Sophie de Menthon, à l’élaboration de cette chanson. Et vu l’engouement de mes collaborateurs à chanter, je me suis dit on va en faire un clip (il a déjà 75 000 vues !!).
Pourquoi avoir adhéré à ce projet ?
J’ai adhéré à ce projet parce que je pense que c’est une image qui colle bien à notre entreprise. Mes collaborateurs n’ont pas attendu de voir cette émission à la télévision pour oser afficher leur amour pour leur boite. Si vous venez à Villeneuve, la plupart des collaborateurs ont affiché sur leur voiture un autocollant « j’aime ma boite », et ça c’était bien avant de connaître Sophie de Menthon. Et c’est pour cela que je me suis dit, je dois me rapprocher de cet événement.
Comment-se traduit les actions en rapport avec j’aime ma boite dans votre entreprise ?
Je passe la plupart de mon temps à organiser des évènements avec mes collaborateurs car cela me donne envie de développer mon entreprise et c’est ce qui a participe également à sa réussite. Je compte continuer jusqu’au bout à être proche de mes collaborateurs et à chaque fois que j’ai une idée, je veux les faire participer à cet évènement. C’est comme ça que je passe mes vacances, alors que pour eux c’est plutôt un séminaire de motivation. En effet, chaque année, je reçois un petit peu plus de 500 collaborateurs pendant 8 jours dans un lieu dédié : il ne s'agit pas de leur passer des « slides » mais de faire du sport avec eux, chanter avec eux, danser avec eux et bien sûr échanger quand ils le souhaitent.
Pourquoi est-ce qu’on a peur d’afficher le fait d’aimer son entreprise ?
Je suis mal placé pour vous le dire parce que j’ose non seulement l’afficher mais en faire un clip avec mes collaborateurs. Je trouve que c’est dommage de priver ceux qui ont envie d’afficher ce message ou de ne pas les encourager à le faire. Il est vrai qu’il est beaucoup plus facile de critiquer son entreprise que de dire « j’aime ma boite », mais ce n’est pas parce que vous dites j’aime ma boite, que vous ne pouvez pas faire part de évolutions que vous attendez.
Auriez-vous aimé un mot sur les entreprises de la part des politiciens ?
Ce que Manuel Valls a osé dire en soutenant les entreprises a permis de délier les langues ou de choquer, mais au moins on en a parlé ! Aujourd’hui, oui il pourrait y avoir un membre du gouvernement qui reprenne notre clip pour dire « regardez, c'est une belle idée de la part des collaborateurs de participer à ce clip ». Je pense que cela pourrait être annonciateur de changements en France, il faut créer de l’enthousiasme et redonner confiance aux personnes et surtout à tous nos jeunes. C’est dommage que les politiciens ne parlent pas "vrai" finalement, ils veulent tellement gagner des électeurs que finalement ils n’osent pas parler des entreprises, or ils sont la pour diriger au mieux la France. Il faut qu’on ait confiance en eux, il faut qu’ils créent de l’enthousiasme, après ils penseront à gagner des voies.
Comment avez-vous installé ce climat familial au sein de votre entreprise ?
En écoutant les collaborateurs, en dialoguant avec eux, en les accompagnant. C’est toujours le message que je passe à mes responsables, de toujours être à l’écoute et donc de les accompagner à chaque fois qu’ils en ressentent le besoin.
Avez-vous des projets ? Des perspectives en centre-ville ?
Mon objectif c’est 1 000 magasins, 10 000 collaborateurs. J’ai déjà des idées d’emplacement pour les 30 premiers magasins puisque l’année prochaine on sait déjà qu’on aura 30 nouvelles créations en France, notamment à Rambouillet, Couanière et en Haute-savoie. En centre-ville, il va y avoir un premier magasin à Paris, les autres étant toujours en périphérie. On ne l’a pas fait avant parce qu’à Paris, les surfaces sont plus petites, entre 600 et 800 m2, or habituellement nous recherchons plutôt des surfaces de 2 000m2.
Andréa Bénisti.