Jamais la société française n’aura accordé une telle place à l’écrit. Textos, mails, forums de discussions et réseaux sociaux… on écrit en permanence, sans que cela se ressente sur notre niveau d’orthographe.
La référence en la matière, le Projet Voltaire, vient de dévoiler la nouvelle édition de son baromètre annuel sur le niveau des Français, sans grand optimisme.
Alors qu’on les associe avant tout aux écrans (télé, ordi, smartphone), les jeunes générations baignent dans un environnement d’écrit. Facebook, forums de discussions, textos sont pour eux autant d’occasion de prendre la plume, du moins métaphoriquement. Et pourtant, leur désintérêt pour la rigueur orthographique n’a jamais semblé aussi fort, cette dernière étant désormais confiée aux bons soins des correcteurs automatiques inclus dans les différents appareils. En passant de la correspondance par lettres aux chats en ligne, l’expression écrite a perdu son caractère littéraire pour revêtir une fonction plus utilitaire ; style et orthographe semblent donc parfaitement secondaires tant que le message est compris.
Résultat, Julien Soulié (professeur en collège et consultant Voltaire) s’alarme du niveau d’orthographe des petits Français entre 10 et 15 ans, constaté lors de la troisième édition du Baromètre Voltaire publiée en mai dernier. En effet, les collégiens ne maîtrisent que 27 % des 84 règles de base évaluées, et le taux de réussite sur certains points élémentaire a de quoi donner des frissons aux plus amoureux de la langue : « tu mangeS » (52 %), sa-ça (moins de 50 %), « ils chantENT » (42 %), « ils sont mangéS » (36 %) ou encore l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir (seulement 12 %). Ce dernier point, cependant, compte parmi les règles les moins maîtrisées toutes classes d’âge confondues.
Au lycée, la situation n’est guère plus brillante : seules 30 % des règles de base sont correctement appliquées, alors même que les fondamentaux sont considérés comme sus et les cours d’orthographe, abandonnés. Il faut attendre l’entrée dans le monde du travail pour atteindre la moyenne, sans toutefois avoir de quoi se réjouir : le taux de maîtrise des salariés pointe à 52 %. Des collégiens aux salariés, le niveau en orthographe ne cesse d’augmenter avec l’âge des répondants, de quoi nourrir un semblant d’espoir : tout n’est pas perdu, et les crapauds orthographiques que nous sommes deviendront au fil des ans de beaux princes au langage charmant. Un optimisme que Julien Soulié souhaite tempérer. Pour lui, cette courbe traduit moins une progression qu’un écart générationnel qui souligne les différences (et la dégradation) de l’enseignement de la langue. A chaque classe d’âge sa réforme éducative, à chaque classe d’âge son niveau.
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L’ambiance n’est donc pas franchement à la fête chez les défenseurs de la langue de Molière. Nombreuses sont d’ailleurs les voix qui s’élèvent pour critiquer les multiplications des modules optionnels (type EPI) et réclamer un retour aux enseignements de base au collège. « Avant de construire le premier étage, il faut assurer les fondations », remarque Julien Soulié, philosophe. Certains pays comme la Finlande de même que certains états américains assument et ont banni l’apprentissage de l’écriture cursive au profit de la seule dactylographie. Autrement dit, les petits Finlandais apprennent par défaut à écrire avec un clavier ; l’usage du stylo, le tracé des lettres et de leurs boucles, est optionnel depuis la rentrée 2016.
Ainsi, le Français à l’orthographe irréprochable tend donc à devenir une perle rare, et donc éminemment précieux. Les recruteurs ne s’y trompent pas, qui précisent de plus en plus « orthographe irréprochable exigée » dans leurs annonces. « C’est parfois le facteur n°1 à la lecture d’un CV », explique Pascal Hostachy (fondateur du Projet Voltaire). Auparavant, la faute était éliminatoire ; de nos jours, une bonne orthographe ne coule plus de soi mais est au contraire considérée comme un avantage comparatif des candidats. « Les recruteurs infèrent beaucoup de choses d’une faute », en termes de respect de l’interlocuteur, de sérieux et de rigueur, de crédibilité professionnelle.
Voilà qui devrait permettre de redonner aux plus jeunes le goût de la belle langue : l’orthographe n’est pas qu’une lubie de « nazis de la grammaire » (ainsi appelle-t-on les internautes qui s’énervent sur leur clavier pour corriger les contenus web). Elle est au contraire un levier d’insertion sur le marché de l’emploi et un outil professionnel au quotidien. Pour preuve, au cours d’une semaine type, l’intégralité des questions soumises au site question-orthographe.fr tournent autour de formules de mails : « pour toute question », « je suis en congé », « je vous saurai gré », etc.
Se tester en orthogaphe : le Certificat VoltaireOutre la lettre motivation et le CV, les candidats disposent désormais d’un autre outil pour prouver leur niveau de maîtrise de la langue : le Certificat Voltaire, qui évalue sur 1 000 points la maîtrise de l’orthographe lexicale et grammaticale. Comme le TOIC pour l’anglais, il est un indicateur objectif de niveau qui parle aux recruteurs. Créé en 2010, il compte actuellement 100 000 diplômés, dont 35 000 rien qu’en 2016. Pour 2017, les projections montent à 50 000, traduisant une montée en puissance. En tout, ce sont 2 000 écoles et 7 000 entreprises qui ont invité leurs salariés et élèves à se soumettre à ce test. Un chiffre que les équipes Voltaires s’attendent à voir exploser dans les années à venir. |
C. Véron