Le 31 janvier 2002 une manifestation organisée à Paris réunissait environ 3000 personnes, d’après la CSOFA (Chambre Syndicale des Organismes de Formation en Alternance) qui avait organisé l’événement. Le but ? Défendre l’alternance.
Les contrats en alternance permettent à des jeunes de suivre en parallèle une partie de leur formation en entreprise, et une partie dans des centres de formation. Jeunes et organismes de formation semblent aujourd’hui préoccupés par l’avenir d’un système qui a pourtant fait ses preuves.
M. Xavier Baux, Secrétaire Général de la CSOFA (Chambre Syndicale des Organismes de Formation en Alternance), nous explique les raisons de ce malaise.
Xavier Baux : Depuis quinze ans les organismes de formation en alternance ont fait œuvre utile : ils ont partiellement assuré le développement du contrat de qualification, qui est le meilleur outil d’insertion professionnelle des jeunes en France, et le moins coûteux. Ils ont eu un rôle important de promotion sociale, de socialisation.
Or, aujourd’hui, le système de la formation en alternance est asphyxié par les difficultés.
Nous désirons faire réagir l’opinion publique, afin de permettre à ce système de fonctionner à nouveau, d’autant plus que sa qualité est reconnue par tout le monde.
Xavier Baux : C’est notamment un problème de financement. L’alternance (hors apprentissage) est gérée par un système comparable à celui de la sécurité sociale : toutes les entreprises versent à l’alternance, et lorsqu’elles ont un besoin on leur reverse de l’argent.
Les institutions chargées de recueillir les contributions des entreprises, puis de répartir l’argent ainsi récolté sont les OPCA (Organismes paritaires collecteurs agréés).
Si les OPCA ont des excédents sur leur budget annuel, ils les reversent à l’AGEFAL (association de gestion du fonds des formations en alternance), qui mutualise les fonds de l’alternance.
En cas de problème financier d’un OPCA, l’AGEFAL peut intervenir pour assurer l’équilibre de ses comptes et garantir les engagements de cet organisme auprès des entreprises.
Or l’AGEFAL a pu à certains moments avoir un budget excédentaire, ce qui a conduit le gouvernement à puiser dans ses caisses à diverses reprises. En tout, entre 1997 et 2000, le gouvernement a ponctionné 360 millions d’euros (2,37 milliards de francs).
Conséquence : en octobre 2001, il n’y avait plus d’argent dans les caisses de l’AGEFAL. Certains OPCA, notamment l’AGEFOS qui prend en charge près d’un quart des formations en alternance en France, ont dû annoncer qu’ils cessaient de financer une partie des contrats qui avaient été conclus.
Cela a débouché sur des situations dramatiques. Imaginez : un jeune a cherché une entreprise pour réaliser sa formation en alternance pendant plusieurs semaines, l’a finalement trouvée et l’a intégrée en tant que salarié en contrat d’alternance. Alors qu’il est en période d’essai, l’OPCA annonce qu’il ne financera plus sa formation.
L’entreprise se voit contrainte de payer les cours du jeune, dans son organisme de formation, ou de mettre fin au contrat. C’est la solution qu’ont préféré nombre d’entreprises pendant tout le mois d’octobre. Selon les régions, il y a pu y avoir 50, 100, 150 dossiers bloqués en même temps…
Les organismes de formation ont été les premiers touchés par cette crise, puisque ce sont les OPCA qui financent leurs prestations.
Concrètement, l'organisme de formation est payé par l'entreprise qui est remboursée par les OPCA. Lorsque les OPCA ont déclaré : « nous ne finançons plus tel ou tel dossier » et que les entreprises ont refusé de prendre à leur charge le coût de la formation, cela a signifié pour les centres de formation la perte d’une partie de leurs contrats, donc d’une partie de leurs revenus.
Certains de nos collègues ont été confrontés à des chiffres de 20 à 25 mises en attente de dossiers entre le mois d’octobre et celui de novembre.
La CSOFA a incité les organismes de formation et les entreprises à garder les jeunes en attendant que la situation se débloque, mais parfois cela n’était pas possible.
Ces difficultés ont touché tous les acteurs de l’alternance : jeunes laissés au bord du chemin, entreprises déçues, heures perdues pour les formateurs, prévisions battues en brèche pour les organismes, plus généralement détérioration de l’image de l’alternance.
Recrut : Le problème a-t-il effectivement été réglé depuis octobre ?
Xavier Baux : Pas du tout. Les problèmes de trésorerie des OPCA demeurent. Pour y faire face la plupart d’entre eux ont limité leurs engagements pour 2001 à 85 % du montant de leurs engagements effectués en 2000, limitation qui pourrait être aggravée sur l’année prochaine.
Pour l’heure, la seule possibilité envisagée est l’éventualité d’un emprunt de l’Agefal dont le gouvernement serait garant.
L’acquis est mince car on ne parle pas remboursement, alors qu’à l’origine le gouvernement s’était engagé à reverser à l’Agefal les sommes perçues si elles venaient à faire défaut et si le fonctionnement de l’association en était gêné.
Xavier Baux : C’est probable. En outre, d’autres problèmes de fond sont peu à peu apparus ces dernières années, qui touchent les organismes de formation en alternance et menacent tout le système.
Nous observons une baisse progressive des volumes et des taux de prise en charge des heures de formation payées par les OPCA. Par exemple, en 1998 pour préparer un BTS en deux ans, 1200 heures étaient financées à 9.14 (60 F) de l’heure, correspondant à un montant de 11 000 (environ 72 000 F).
Aujourd’hui, la même formation est financée à hauteur de 1000 heures à 7,62 (50 F) soit 7620 (50 000 F) pour deux ans. La décision de baisser le niveau de l’aide accordée aux organismes de formation est prise de manière unilatérale par les OPCA, sans concertation avec les organismes, et du jour au lendemain.
En conséquence, il y a un risque très net de voir des organismes de formation ne pas tenir le coup financièrement. Autres conséquences, des formations disparaissent, les conditions de formation sont moins bonnes (des classes plus chargées, du matériel moins sophistiqué…), et le système permet moins de souplesse qu’auparavant.
Il est ainsi plus difficile de donner la possibilité à un jeune de redoubler dans le cadre de sa formation en alternance, et certains OPCA refusent désormais d’enregistrer des contrats si les formations ne sont pas directement liées à leur branche d’activité.
Par ailleurs, il faut que le contrat de qualification soit rééquilibré par rapport au contrat d’apprentissage, qui est fortement favorisé par le système. En 1999, le gouvernement a même ponctionné 76 millions d’euros (500 millions de francs) sur les fonds de l’AGEFAL pour financer l’apprentissage.
Xavier Baux : Malheureu-sement oui. Les candidats en contrat de qualification qui préparent un diplôme n’ont pas la possibilité, comme leurs camarades en contrat d’apprentissage, d’avoir accès au contrôle continu qui est souvent plus indulgent.
L’équilibre entre l’alternance et l’apprentissage devrait être respecté notamment dans un souci d’équité sociale. D’un côté, dans le cadre de l’apprentissage, le gouvernement finance des formations de niveau I et II (diplômes de niveau supérieur ou égal à la licence ou à un diplôme de grande école) : par exemple, une entreprise touche 40 000 F pour deux ans pour former en alternance un étudiant de l’ESSEC.
D’un autre côté, le contrat de qualification est soumis à la « circulaire Barrot » du 29 mars 1996. Celle-ci, interprétée de manière stricte, interdit aux jeunes ayant un Bac Pro d’accéder à la formation par la voie du contrat de qualification.
La circulaire précise en effet qu’un Bac Pro est déjà une qualification professionnelle et que le jeune n’a pas besoin d’acquérir une qualification supplémentaire pour entrer sur le marché du travail.
Cela défavorise des jeunes d’origine modeste, dont le système devrait au contraire encourager l’intégration sur le marché du travail. Nous demandons donc la suppression de la circulaire Barrot et l’ouverture de l’accès au contrat de qualification.
Xavier Baux : Suite à la manifestation du 31 janvier 2002, le Ministère du Travail et de l’Emploi a promis à la délégation de la CSOFA qu’une réunion sera programmée en février entre les Pouvoirs Publics, les partenaires sociaux, les gestionnaires de l’alternance et les représentants des centres de formation.
Nous envisageons d’ores et déjà d’autres actions. Nous demandons principalement : sur le plan législatif et réglementaire
• reconnaissance du contrat de qualification diplômant,
• reconnaissance du rôle des organismes de formation dans l’insertion des jeunes,
• suppression de la circulaire Barrot et ouverture de l'accès au contrat de qualification,
• accès au contrôle continu pour les jeunes préparant un diplôme sous contrat de qualification,
• ouverture de l'apprentissage aux centres de formation privés.
sur le plan financier
• remboursement des 2, 37 milliards ponctionnés par le gouvernement depuis 4 ans,
• arrêt des transferts de fonds de l'alternance vers l'apprentissage,
• audit comparatif sur l'utilisation des fonds de l'alternance et de l'apprentissage (Pourquoi l’apprentissage coûte-t-il si cher ? Où va cet argent ?),
• fixation d'un taux horaire plancher pour le financement de l'alternance.
Nous devons rester mobilisés car le discours tenu par le Ministère, qui accuse les partenaires sociaux de vouloir déformer la réalité des comptes pour des raisons de calendrier politique, n’est pas des plus convaincants.
Nous voulons pouvoir exercer notre métier sans avoir sans cesse un fusil sur la tempe.