Le système de l’alternance semble être aujourd’hui à la croisée des chemins. Les décideurs hésitent entre le faire revenir à sa mission initiale, d’outil d’insertion pour les moins diplômés, et lui conférer un rôle de porte d’entrée systématique des jeunes dans la vie active.
Vincent Merle nous présente l’engagement du gouvernement dans le développement de l’alternance.
Quelle est l’action du gouvernement en faveur de l’alternance ?
Vincent Merle : Nous soutenons l’alternance sans équivoque. Depuis 1998, date de son arrivée à la tête du Secrétariat d’Etat à la Formation Professionnelle, Nicole Péry s’est toujours engagée pour ce mode de formation.
Son tout premier déplacement, dans le cadre de sa fonction, a été réalisé pour soutenir l’alternance.
Le nombre de contrats en alternance a régulièrement augmenté depuis 1998.
Les contrats en alternance sont de véritables contrats de travail, et le dispositif de l’alternance est un moyen d’assurer l’accès à l’emploi de jeunes en rupture avec le système scolaire.
Il est donc normal que le Ministère du Travail soit partie prenante dans son développement.
Cependant, il faut bien noter que toutes les décisions du gouvernement concernant l’alternance dépendent non seulement du Ministère du Travail mais également du Ministère de l’Education Nationale.
Les jeunes de l’enseignement professionnel suivent en effet aussi une formation en alternance. L’action du gouvernement en faveur de l’alternance ne se limite donc pas aux initiatives de notre Secrétariat d’Etat.
L’enseignement des connaissances ne doit pas être la victime d’une unique « préoccupation métier ».
Nous veillons donc à assurer un équilibre entre la formation professionnelle et la formation initiale.
Malgré notre conviction que l’alternance est un système efficace d’intégration professionnelle, il faut que son développement se fasse de manière équilibrée par rapport aux autres voies de formation.
Accompagner l’évolution de l’alternance L’évolution des contrats en alternance ne dépend pas d’une seule volonté gouvernementale, mais d’une réelle demande émanant de la part des jeunes et des entreprises.
Le rôle du gouvernement consiste à accompagner les évolutions de ce mode de formation, pour qu’il réponde aux attentes des uns et des autres.
Ainsi, des aides à l’embauche des jeunes en contrat de qualification avaient été mises en place lorsque la situation économique rendait difficile l’emploi des jeunes.
Le but des pouvoirs publics était de favoriser l’entrée des 16-25 ans sur le marché du travail.
Entre-temps, l’économie s’est redressée.
Ces aides ont été jugées superflues et ont été supprimées en janvier 2001.
Nous avons alors constaté que le nombre de contrats de qualification n’a pas baissé, ce qui prouve que le système de l’alternance répond à un réel besoin des entreprises, et non à une simple volonté d’obtenir de nouvelles primes d’aides à l’emploi.
Nous devons également accompagner l’alternance par rapport aux tendances du marché de l’emploi.
On observe aujourd’hui que les jeunes ne vont pas forcément vers les secteurs où existe une forte demande des entreprises : hôtellerie-restauration, mécanique, métiers de bouche…
Les branches professionnelles et les partenaires sociaux agissent sur l’attractivité de ces métiers.
De son côté, le gouvernement agit pour convaincre les jeunes que l’alternance peut leur apprendre un vrai métier : ce mode de formation est un formidable outil pour attirer les jeunes vers ces professions.
Il faut que l’alternance soit un vrai choix de la part du jeune, qu’il se lance dans ce mode de formation de manière réfléchie, parce que cela correspond à son projet professionnel.
Vous affirmez que le gouvernement a un rôle d’accompagnateur du système.
Ne devrait-ilpas aussi le contrôler, et agir pour améliorer la qualité des formations ?
Vincent Merle : L’Etat a certes une mission de contrôle : il veille à éviter les abus de toutes sortes.
Mais il n’est pas seul à agir sur la qualité. La pédagogie de l’alternance est compliquée, elle ne se règle pas par circulaire… La qualité du système doit être améliorée par ses acteurs, et notamment par les Régions.
Aujourd’hui, des efforts importants ont été entrepris par les Conseils Régionaux pour améliorer la qualité des formations dans les CFA (Centres de formation des apprentis).
Concernant les contrats de qualification, l’élan doit être donné par les partenaires sociaux au sein des OPCA (Organismes Paritai-res Collecteurs Agréés).
Or les OPCA n’ont pas tous engagé de réflexion dans ce domaine. Ils se contentent souvent d’avoir une gestion purement comptable de l’alternance.
Ils doivent veiller à la bonne utilisation des fonds qu’ils gèrent, ce qui passe par le respect de critères de qualité des formations en alternance.
Leur gestion comptable de l’alternance est d’ailleurs à la source de la crise qu’a traversé le système en octobre 2001, lorsque l’AGEFAL, le refinanceur des OPCA, a annoncé qu’il était à court de liquidités.
Certes, le gouvernement a prélevé des excédents financiers chez l’AGEFAL, au moment où ces fonds étaient abondants.
Mais les difficultés au cours des derniers mois ont été en grande partie causées par le manque de prévoyance de certains OPCA qui, malgré leur situation déficitaire, ont continué à financer des contrats, sans tenir compte de la limitation des ressources. Aujourd’hui, cette situation est réglée, le gouvernement garantit les emprunts de l’AGEFAL afin de poursuivre le financement des contrats en cours.
Nous ne souhaitons plus connaître les situations d’impasse qui ont été constatées avec certains organismes.
Les très nombreux départs en retraite des prochaines décennies vont modifier le marché du travail.
Les jeunes ne préféreront-ils pas à l’alternance une intégration directe sur le marché du travail, compte tenu des plus grandes facilités pour trouver un emploi ?
Vincent Merle : Je ne le pense pas. La situation du marché du travail sera contrastée.
Pour les jeunes très diplômés, la situation sera effectivement favorable. Ils seront courtisés.
Pour de nombreux autres jeunes, avec un niveau de formation plus faible, il y aura toujours de grands problèmes d’intégration.
Paradoxalement, notre pays investit énormément dans la formation et l’éducation de ses jeunes, sans obtenir de résultats satisfaisants en terme d’insertion professionnelle, du moins pour tous les jeunes qui sortent du système de formation initiale avec un faible niveau de diplôme.
L’alternance est un des leviers sur lesquels il est possible d’agir pour déjouer ce paradoxe, et intégrer les jeunes les moins qualifiés. C’est pourquoi l’alternance a selon moi de beaux jours devant elle.
Le niveau des formations en alternance tend à s’élever de plus en plus. Qu’en pensez-vous?
Vincent Merle : Si nous soutenons l’alternance sans équivoque, nous constatons néanmoins une dérive du système actuel. Les contrats de qualification ont été initialement pensés pour des jeunes sortant du système scolaire sans réelle qualification professionnelle. L’entrée en contrat de qualification se faisait à la fin d’un parcours de préqualification, prévoyant un accompagnement réel des jeunes.
L’objectif était clairement de faciliter l’insertion du jeune sur le marché du travail. Or aujourd’hui, plus de la moitié des jeunes entrant en qualification ont déjà le niveau du Baccalauréat. C’est une dérive du système. Le mécanisme, destiné aux jeunes les plus en difficulté, a été étendu à des publics dont le parcours de formation était déjà avancé. Nous aurions pu arrêter cette dérive.
Nous avons, comme le gouvernement précédent, tenté de freiner cette dérive, mais nous devons également reconnaître l’efficacité du système pour faciliter la professionnalisation des jeunes dans le monde du travail. L’alternance a évolué avec la demande des entreprises et des jeunes. Pour autant, l’augmentation du niveau requis pour entrer en contrat de qualification, de même que la mise en place d’une sélection des jeunes par les centres de formation, a une conséquence regrettable.
Beaucoup de jeunes non diplômés n’accèdent en effet même plus au contrat de qualification, qui avait pourtant été créé pour eux ! Nous souhaitons intervenir pour ne pas oublier ces jeunes en difficultés.
Comment permettre à ces jeunes d’accéder à nouveau à l’alternance ?
Vincent Merle : Le gouvernement est contraint de mettre en place de nouveaux dispositifs. Il a par exemple créé en 1998 le programme TRACE, qui s’adresse aux jeunes âgés de 16 à 25 ans confrontés à un risque d’exclusion professionnelle. A ceux qui ne peuvent pas entrer en contrat de qualification.
Grâce à un parcours individualisé d’une durée allant jusqu’à 18 mois, ce programme doit permettre l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Environ 155 000 jeunes ont bénéficié à ce jour d’un parcours TRACE.
L’évolution du contrat de qualification au cours des dernières années n’a cependant pas été caractérisée seulement par l’élévation des niveaux des diplômes et des qualifications préparés. Le système a en effet de plus en plus fonctionné grâce à l’action des organismes de formation en terme de recrutement.
Ils ont fait le lien entre les entreprises et les jeunes. Le système de l’alternance devrait être piloté davantage par la demande des entreprises et des jeunes que par l’offre de formation. De plus en plus, les organismes de formation guident l’évolution du contrat de qualification, et ce dernier se substitue parfois à une formation initiale. Sans remettre en cause l’alternance, nous souhaitons favoriser l’alternance dans un contexte d’insertion et de professionnalisation.
L’alternance va donc être recentrée sur sa mission initiale, d’accompagnement des jeunes les moins qualifiés vers l’emploi ?
Vincent Merle : En partie, mais nous ne remettons pas en cause le développement de l’alternance pour des niveaux d’études supérieures, tels que les licences professionnelles ou les formations d’ingénieur. Ces tendances sont fondées et nous souhaitons les accompagner. D’ailleurs d’autres projets pourraient engendrer la transformation du d’insertion et de professionnalisation.
La mise en place d’une allocation d’autonomie pour les jeunes est actuellement discutée par plusieurs formations politiques. Une telle mesure doit être envisagée avec prudence si l’on veut éviter de réduire l’attractivité de l’alternance pour les jeunes, car elle est liée en partie au salaire qui leur est versé pendant leur contrat.
L’autre évolution envisageable a été évoquée par le MEDEF. Il propose de permettre à tout jeune de passer par une phase d’alternance après sa formation initiale, de manière assurer son intégration professionnelle. C’est une hypothèse qui doit être explorée sur le long terme, puisqu’elle prévoit de faire de l’alternance non plus un système concernant un nombre restreint de jeunes, mais plutôt un processus général et systématique s’adressant à tous les jeunes.
Cela supposerait d’inclure un temps supplémentaire d’alternance à la fin des cycles de formation initiale. Cela impliquerait aussi un engagement très fort de la part des entreprises, notamment en terme de maintien des embauches en alternance indépendamment des variations économiques. C’est une piste qui mérite cependant d’être explorée par les partenaires sociaux, afin de définir l’avenir de l’alternance.