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LEAN : le management qui vous veut du bien

07/07/2016

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Comme en prêt-à-porter, le management d’entreprise connaît des tendances, suit des modes, des concepts qui surgissent presque du jour au lendemain et envahissent la presse professionnelle avant de disparaître, remplacé par un autre. Le chouchou actuel des dirigeants s’appelle le LEAN MANAGEMENT, et il y est loin de faire l’unanimité côté salariés. Retour sur une polémique.

 

Un management o % de matières grasses

L’histoire de Toyota a tout du miracle économique. En effet, la firme japonaise est, en l’espace de quelques années seulement, passé du statut d’acteur de seconde zone à celui de plus grand fabricant automobile mondial. Comment ? La réponse a de quoi intriguer les spécialistes, et notamment l’Américain Daniel T. Jones (chercheur au prestigieux MIT) qui se rend sur place au cours à la fin des années 80 pour percer ce mystère bien étrange. Rentré chez l’Oncle Sam, il consigne ses conclusions dans un livre, dont le titre annonce clairement la couleur : Le Système qui va changer le monde (1993).

La solution miraculeuse tient en un mot, inventé par Mr. Jones et désormais indissociable du personnage : le LEAN management. En clair (et en français), il s’agit de « dégraisser » le processus productif, de dénicher et éradiquer tout ce qui empêche les tâches de se dérouler aussi aisément qu’une goutte glissant sur une toile cirée. Temps morts (muda, en japonais), déplacements inutiles, chaque dysfonctionnement est observé et réglé, chaque mouvement est rationnalisé, ce qui n’est pas optimal se doit de le devenir. En résumé : il n’y a –littéralement– plus une seconde à perdre, ni de place laissée à l’improvisation.

Dans sa conception originelle, le LEAN se veut également participatif. En effet, qui mieux que le travailleur lui-même pour savoir ce qui freine l’accomplissement de sa tâche et l’aiderait à le rendre plus performant ?  Il s’agit donc, sur le papier du moins, d’un système gagnant-gagnant dans lequel le manager gagne en productivité et le salarié en qualité de vie au travail. Avec les mots de Dan Jones, me LEAN est "la participation de l'ensemble des employés d'une entreprise à la lutte contre le gaspillage en chassant tout ce qui produit de la ‘non-valeur ajoutée’".

 

Des managers qui se régalent

Le LEAN a plus que fait ses preuves auprès des managers, qui sont de plus en plus nombreux à l’adopter. Transport, restauration, télécommunications, banque, industrie… tous les secteurs s’y mettent, et non sans raison. En effet, les entreprises ayant adopté cette méthode managériale affiche des hausses de productivité comprises entre 10 et 50 %. De quoi motiver les managers à recourir à des consultants, véritables docteurs en dysfonctionnements, pour établir un diagnostic de leur entreprise ou former leurs équipes dirigeantes. Coût de la prestation : plusieurs dizaines de milliers d’euros minimum, que les entreprises jugent bien investis compte tenu de l’augmentation du chiffre d’affaire attendue.  

Aux yeux des managers, le LEAN a des allures de remède miracle à tous les maux, y compris ceux qu’ils n’avaient pas encore détectés. Ainsi, après la visite d’un expert, il convient de s’interroger sur tout, en particulier les détails : position des travailleurs (moins de mouvements, moins de temps), distance entre les postes de travail (moins de déplacement, moins de temps), etc. De là la prise de conscience d’une grande déperdition d’efficacité au cours du processus productif.

Et parce que la prospérité de l’entreprise rejaillit forcément sur ses salariés, cette augmentation de la productivité doit permettre d’améliorer les conditions de travail des salariés et de sécuriser le travail en France. On ne délocalise pas une entreprise performante, qu’on se le dise.

De plus, nombreux sont les chefs d’équipe qui soulignent les avantages d’inclure les salariés au processus de réflexion. Responsabilisés et écoutés, ils se sentent mieux dans leurs tâches et leur équipe. Le LEAN est donc, pour eux, un véritable contrat gagnant-gagnant.



Des salariés en overdose

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les salariés ne partagent pas l’enthousiasme de leurs supérieur, sur la question du LEAN. En effet, nombreux sont les syndicats et DRH à dénoncer une méthode qu’ils considèrent proche du travail à la chaîne si cher à Chaplin. Il faut dire que la ressemblance est frappante : travail divisé en tâches distinctes, ouvriers très spécialisés, importance moindre du talent personnel, gestes répétitifs et rationnalisés… Le LEAN n’est donc pas un progrès, bien au contraire ; il marque un dangereux retour en arrière.

Car le LEAN ne serait pas sans conséquence pour la santé. Véritable stratégie de la cadence, il place les travailleurs sont la contrainte du chronomètre, avec des objectifs dont la précision frôle l’absurdité. Dans l’émission « Spécial Investigation », nos confrères de CANAL + ont ainsi exposé les nouvelles consignes soumises aux postiers, à qui il est demandé d’imprimer les étiquettes de réexpédition en 0,73 min (ni plus, ni moins), coller l’étiquette en 0,5 min et mettre sous pli en 0,1 min. Des chiffres qui interrogent quant à leur calcul, et que les syndicats accusent d’être définis par des managers déconnectés de la réalité du terrain. L’amour des chiffres est donc recommandé pour survivre en milieu LEAN.

Pour les autres, les allergiques des maths, la surchauffe guette. Ce nouveau mode de management est ainsi pointé du doigt par certains DRH et représentants de la médecine du travail qui lie l’instauration du LEAN à une augmentation sensible du nom de burnouts et maladies professionnelles. Non contents d’être sous la pression du temps, les salariés travaillent en effectifs restreints. En effet, loin de préserver l’emploi, le LEAN permet de demander à moins de salariés d’être plus productifs. Dégraisser l’entreprise est donc à prendre au sens propre, et concerne tout autant le personnel que le processus productif.

Dans les cas les plus extrêmes, le mal-être professionnel déborde dans la vie privée du salarié, menant parfois à des suicides. Ainsi, les experts soulignent l’indéniable lien entre l’instauration du LEAN et la vague de suicides chez France Télécom en 2008-2009 (une soixantaine de cas en deux ans). Via le plan de modernisation « NExT », l’entreprise avait été parmi les premières de France à adopter cette nouvelle méthode ;  les implications humaines avaient été sous-estimées, ce qui a valu à son PDG de l’époque d’être poursuivi pour harcèlement moral. L’enquête est close et le procès, prévu pour fin 2016. Si elle venait à déclarer l’entreprise coupable, la justice fixerait un précédent d’importance en reconnaissant l’existence d’un harcèlement institutionnel (et non plus personnel), ouvrant sans doute la porte à de multiples attaques. Le LEAN n’a donc pas fini de faire parler de lui…

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