En menant une enquête auprès de quelques 1600 femmes actives, le cabinet A compétence Egale et Robert Walters ont tenté de vérifier la validité de plusieurs clichés qui poursuivent les femmes au sein des entreprises. Et certains résultats sont effectivement plutôt surprenants…
« Il faut que les recruteurs arrêtent de voir en chaque femme une maman potentielle », s’insurge Antoine Morgaut, du cabinet d’études Robert Walters. En effet, les femmes d’aujourd’hui se définissent tout autant par leur famille que par leur carrière ; avant 45 ans, elles sont même 50 % à juger leur vie professionnelle prioritaire… jusqu’à l’arrivée de bébé ?
Pour de nombreuses femmes, le choix fut fait en faveur de la carrière : 1/3 des sondées de moins de 45 ans affirme avoir déjà reporté (voire renoncé à) un projet de grossesse pour des raisons professionnelles. « Pas le bon moment », mais également réticence à freiner une trajectoire enclenchée, puisque plus du tiers des répondantes ont vécu leur grossesse comme un obstacle à leur évolution dans l’entreprise. Plus grave, près du quart estime avoir été écarté des prises de décision auxquelles elles avaient l’habitude de participer après leur congé maternité. Il convient cependant de souligner qu’il s’agit-là d’un ressenti, qui n’est donc pas observable et ne prend pas en compte les conséquences d’une absence de plusieurs mois dans les évolutions RH (promotions, formation d’équipes…).
Cette situation est d’autant plus mal vécue par les femmes qu’elles sont loin de se tenir éloignées de l’entreprise après la naissance de leur enfant. Au contraire, et c’est là un des résultats les plus surprenants de cette étude, il y a autant de femmes qui réduisent leur temps de travail que de femmes qui l’augmentent ! Ce choix, qui s’explique par des besoins financiers accrus après l’arrivée d’un nouveau membre dans la famille, met à mal le stéréotype de la maman surmenée au travail.
A en croire les résultats de l’étude, le montant de leur paie est un sujet qui préoccupe beaucoup les femmes. Chez les moins de 45 ans, c’est même une priorité (les plus de 45 ans, quant à elles, placent le « gagner plus » juste derrière le « travailler autrement »). Plus étonnant encore, être bien payée est la troisième définition d’une belle carrière selon la gente féminine ; une question qui, contre toute attente, n’est même pas sur le podium de leurs homologues masculins.
Pour Antoine Morgaut, cette différence s’explique par le sentiment d’injustice ressenti par les femmes. En effet, bien que la situation s’améliore (8 % de différence salariale, contre 15 % il y a encore quelques années), les femmes interrogées considèrent encore que la revalorisation du salaire des femmes est le principal levier pour améliorer leurs conditions de travail. A tout âge et quel que soit leur niveau de qualification ou hiérarchique, les femmes sont une majorité à juger difficile d’obtenir une augmentation.
Ce sentiment d’injustice et l’appel au changement sont sans doute d’autant plus forts que cette différence de traitement est objectivement mesurable, ce qui rend les progrès faciles à constater.
Bien évidemment, estimer les discriminations à l’embauche par le biais d’enquêtes est impossible. Il est également bien compliqué de percevoir les représentations auxquelles obéissent les recruteurs, au-delà de ce qu’il est de bon ton d’afficher. C’est pourquoi les analystes doivent bien souvent fonder leurs descriptions sur des ressentis. Ainsi, c’est sur un sentiment que ce conclut l’étude : une grande majorité de femmes, de tout âge, considèrent que leur situation dans l’emploi stagne. Pas un constat vérifiable, mais un sentiment qui interroge.
Compte tenu des résultats de l’enquête, il convient par exemple de poser la question du rôle des femmes dans leur propre discrimination. En effet, si elles estiment pouvoir briller dans les équipes dirigeantes (par leur sens de l’organisation et du relationnel), elles ne croient pas en leur leadership, leur innovation ou gestion financière. Face à de telles affirmations, Sébastien Bompard (président d’A Compétence Egale) s’interroge : et si les femmes étaient également responsables des freins qu’elles subissent ? En effet, celui-ci lie ces résultats au phénomène des « stigmates inversés et d’auto-prédiction des stéréotypes » : les femmes ne se voient que telles qu’on leur a appris à se regarder. Et M. Bompard de conclure : « L’amélioration du statut de la femme dans l’emploi passera par un travail sur un changement global des mentalités, dont les femmes ne seront pas exemptes. »