C’est en faisant qu’on apprend. Sur la base de ce dicton que s’est développé le réseau des Entreprises d’Entraînement Pédagogique (EEP), au sein desquelles les demandeurs d’emploi retrouvent de vrais réflexes professionnels par des mises en situation tout à fait virtuelles.
Le ronronnement de l’imprimante en action et le cliquetis nerveux des doigts sur les claviers. Les étagères qui croulent sous les dossiers obèses et les tableaux excel qui exhibent leurs colonnes sur les écrans.
A première vue, rien de distingue une EEP de n’importe quelle autre entreprise du secteur tertiaire, ni l’agitation dans les couloirs ni la qualité des breuvages servis par la machine à café. Et pourtant, tout ceci est « pour de faux » : aucun des produits vendus n’existe, aucune des commandes ne sera jamais expédiée et aucune des personnes en présence n’est salariée de la boîte, qui n’a de toute façon aucune existence juridique.
Souvent qualifiées d’ « auto-écoles de l’emploi », les Entreprises d’Entraînement Pédagogique (EEP) entendent favoriser le retour à la vie active des demandeurs d’emploi par des mises en situation professionnelles.
Dans ces simulacres d’organisations, ils se voient confier un rôle conforme à leurs aspirations professionnelles : ils sont comptables, commerciaux ou chargés de com et doivent mener à bien les missions qui en découlent. Un apprentissage « sur le tas » qui tranche radicalement avec la formation traditionnelle mais est plébiscité par les participants.
Des vertus de faire « comme si »
Chaque année, ils sont entre 6 000 et 7 000 chômeurs à jouer le jeu. Jeunes en galère, actifs à la croisée des chemins ou seniors, les profils sont variés et sans importance. Pour Pierre Troton, qui dirige le réseau des EEP françaises, la sélection se fait avant tout sur la motivation des candidats. Ces derniers sont invités à passer un entretien de plus d’une heure, au cours duquel sont évalués les savoirs de base (lecture, écriture, calcul) et, surtout, leur potentiel de progression.
Car le dispositif a fait ses preuves : près de 75 % des participants retrouveront du travail dans les six mois suivant la fin de leur expérience en EEP. Les employeurs saluent ses profils dont les compétences sont toutes fraîches, au plus près de la réalité du terrain, et qui savent se montrer autonomes.
En effet, pas de tuteur dans les EEP, tout juste un encadrant qui joue le rôle du patron et valide les progrès effectués. Les « salariés » sont laissés entre eux et donc bien contraints de s’entre-aider. Après tout, DRH et managers sont eux aussi en apprentissage… Pour nombre d’entre eux, elle est là, la vraie valeur ajoutée du parcours : briser la solitude du chômage en se coulant dans une équipe (même fictive) et renouer avec le sentiment d’utilité en aidant l’autre. Sans doute ce regain de confiance en soi pèse-t-il plus que les compétences acquises dans le retour au travail.
Un système ancien et étendu C’est en Allemagne que furent lancées les premières entreprises d’entraînement au cours des années 70. L’idée était alors de permettre la reconversion dans l’administration des soldats blessés durant la Seconde Guerre Mondiale. Ce n’est qu’il y a vingt ans que le concept a traversé la frontière pour s’installer en France. Aujourd’hui, on compte entre 100 et 150 EEP en France (contre 500 en Allemagne et près de 1000 en Autriche), pour un total de 4500 réparties dans 35 pays. Toutes sont organisées en réseau, permettant ainsi de simuler des exportations et de développer de vrais échanges autour de faux produits. Une EEP de vente de matériel de bureau peut ainsi « se fournir » auprès d’une EEP de vente de papier et faire de la prospection commercial auprès de toutes les autres EEP… C’est donc une véritable économie parallèle et factice qui s’est mise en place au profit des demandeurs d’emploi ! |
Être et savoir
L’apprentissage de terrain, la mise en situation, permettent donc à la fois l’acquisition et l’actualisation de compétences. Au-delà qu’une formation théorique, elle donne à voir la réalité concrète de certains métiers du tertiaire dont les intitulés sont parfois obscurs. Le candidat peut même s’essayer aux fonctions d’encadrement d’équipes ou de direction dans l’optique d’une création d’entreprise.
Cependant, les acteurs du dispositif (encadrants, recruteurs et candidats eux-mêmes) s’accordent à dire que c’est dans le domaine du savoir-être que les bénéfices de l’EEP sont les plus visibles. En effet, ces faussent boîtes sont régies par de véritables codes qui rappellent au pseudo-salarié les réalités du monde du travail dans sa globalité : horaires, règlement intérieur, organigramme…
Les personnes les plus éloignées du monde de l’emploi se voient ainsi contraintes de mettre un réveil, de respecter un dress code et une hiérarchie. Au-delà des contraintes, ces petits gestes du quotidien ont du bon : ils offrent un cadre aux jours parfois flottants du chômeur et inscrivent ce dernier dans la réalité social du pays.
Comment ne pas se sentir actif quand, tous les matins, on prend le métro en même temps que d’autres professionnels ? La réalité de sa mission n’a alors que peu d’importance. Travailler en EEP permet donc de retrouver confiance vis-à-vis des recruteurs, mais surtout vis-à-vis de soi-même.