La discrimination à l’embauche est un phénomène complexe et difficile à mesurer. Nous avons souhaité faire le point sur cette situation et vous orienter vers les moyens d’actions dont vous disposez si vous en êtes victimes.
Le Code du travail définit la discrimination comme « une distinction opérée aux dépens d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de l’apparence physique, ou bien du patronyme ».
Un phénomène complexe
Pourtant, la discrimination à l’embauche est parfois difficile à identifier, car elle n’est pas toujours explicite.
Dans la mesure où l’acte d’embauche est toujours subjectif, il est difficile de mesurer la prise en compte des origines ou de l’apparence dans le choix du recruteur.
Il peut faire preuve d’un racisme déclaré, se refuser ouvertement à embaucher une personne d’origine étrangère et le préciser dans son processus de recrutement, sans tenir compte de la loi ni de la gravité de son comportement.
Mais il arrive souvent que les employeurs justifient leur refus d’embaucher pour des motifs discriminatoires par le fait que leur clientèle « n’apprécierait pas » la présence d’un personnel d’origine étrangère.
Ils rejettent alors leur responsabilité sur d’autres que l’on ne peut pas identifier et donc pas condamner.
Ils anticipent une réaction de leur clientèle qui n’aurait pas forcément eu lieu et dissimulent bien souvent derrière ces arguments leurs propres préjugés.
Dans les deux cas, l’employeur est juridiquement en tort.
Une difficulté supplémentaire pour les jeunes diplômés
Les jeunes diplômés rencontrent depuis quelques temps des difficultés dans leur recherche d’emploi.
Lorsque la discrimination vient s’ajouter aux problèmes rencontrés par tous, cela devient particulièrement décourageant.
Nous avons cherché à savoir dans quelle mesure elle touchait les jeunes diplômés issus de l’immigration.
L’AFIJ (Association pour Faciliter l’Insertion Professionnelle des Jeunes diplômés) a mené une enquête en 2000, en partenariat avec le FASILD (Fonds d’Action et de Soutien à l’intégration et à la lutte contre les discriminations) et le SDFE (Service des Droits des Femmes et de l’Egalité) auprès d’une population de 1341 jeunes dont plus de 600 femmes issues de l’immigration et diplômées de l’enseignement supérieur, inscrites à l’association. Celles-ci subissent une double discrimination liée à leur sexe et à leur origine.
L’AFIJ a souhaité prendre aussi en compte les jeunes originaires des DOM-TOM qui souffrent de discrimination en raison de leur apparence physique.
Les femmes concernées par l’enquête sont majoritairement d’origine maghrébine (88% d’entre elles ont la nationalité française) mais les populations asiatiques et africaines sont aussi représentées.
Les femmes issues de l’immigration sont plus présentes sur les filières courtes de type Bac +2, facteur probablement lié au fait qu’elles rencontrent des difficultés financières (elles sont 67% à déclarer qu’elles ne disposent d’aucune ressource financière) et ne peuvent donc pas assumer des études pendant une longue période.
Elles sont moins mobiles que le reste de la population (pas de ressources suffisantes pour financer un véhicule personnel ou un permis de conduire).
En règle générale, les jeunes inscrits à l’AFIJ ont des taux d’accès à l’emploi meilleurs que ceux qui ne sont pas suivis.
Cependant, les résultats de l’enquête concernant l’accès à l’emploi des jeunes femmes issues de l’immigration montrent qu’elles semblent un peu moins facilement embauchées (54% contre 57% des autres femmes), qu’elles obtiennent plus souvent des emplois précaires (30% seulement obtiennent un CDI contre 45% des autres femmes) et qu’elles sont moins bien rémunérées (salaire strictement inférieur à 1296 euros brut pour 78% d’entre elles contre 72%).
Elles sont plus nombreuses à déclarer ne pas avoir obtenu un poste correspondant à leurs attentes (23% contre 18%). Parmi celles qui ont un diplôme supérieur à Bac +3, aucune n’a accédé à un statut cadre (contre 38% des autres femmes et 47% des hommes).
Cependant, elles atteignent souvent des postes à responsabilité mais restent minoritaires par rapport aux autres échantillons (20% contre 62% des autres femmes et 74% des hommes).
D’après l’enquête de l’AFIJ, la couleur de peau n’est pas le premier frein à l’insertion professionnelle des jeunes de l’enseignement supérieur mais la nationalité reste un critère fondamental.
Les conclusions de l’enquête ont déterminé plusieurs obstacles à l’insertion professionnelle des jeunes femmes issues de l’immigration : ne pas avoir la nationalité française est un frein évident, être née sur un territoire étranger peut être un obstacle, être issue d’une filière universitaire généraliste pose certains problèmes, être allocataire du RMI ralentit l’accès à l’emploi.
Cette enquête a été réalisée par Naouel Amar, responsable de projet à l’AFIJ. Cette association n’est pas spécialiste des questions de discrimination.
Son travail consiste à conseiller les jeunes diplômés sur leur insertion professionnelle et pour cela, à comprendre les difficultés qu’ils éprouvent. La discrimination fait souvent partie de ces difficultés.
« Souvent les jeunes qui ont souffert de discrimination n’évoquent pas spontanément les problèmes de discrimination qu’ils ont rencontrés lors de leur recherche d’emploi.
Après un suivi individualisé par un(e) chargé(e) de mission insertion, le sujet peut être abordé plus facilement tout en faisant attention à ne pas faire de stigmatisation.
Certains d’entre eux ont été particulièrement blessés, ont perdu confiance en eux et ne parviennent pas à surmonter ces obstacles.
L’action des chargés de mission de l’AFIJ consiste à travailler sur leur bilan personnel et sur leur projet professionnel et à leur donner des pistes pour pallier ces difficultés (élargir leur réseau relationnel, passer des concours, se faire parrainer par un professionnel, etc.).
Mais nous rencontrons aussi des cas de figure où les jeunes ont tendance à faire de la discrimination l’élément explicatif de leur échec sans se remettre en question.
Ils prennent alors le risque de s’enfermer dans un processus de victimisation. Nous sommes là pour leur apprendre à se positionner en tant que professionnel.
L’employeur cherche quelqu’un qui sache tenir un poste, il cherche des compétences et ne sera pas sensible à un discours négatif.
Nous apprenons aux jeunes à positiver, à tirer partie de leurs différences » nous explique Naouel Amar.
Le manque d’information des employeurs
L’un des facteurs de la discrimination est le manque d’information de certains employeurs qui ne parviennent pas à dépasser leurs préjugés concernant les populations issues de l’immigration.
L’AFIJ a réalisé une enquête et a obtenu des résultats auprès de 380 responsables et professionnels du recrutement (qui répondaient anonymement).
Près de deux tiers des professionnels interrogés manifestent un fort intérêt pour des actions de sensibilisation et de lutte contre les discriminations.
Il y a donc une véritable demande des professionnels à ce niveau. Pourtant, l’enquête révèle qu’ils sont seulement 25% à connaître la loi du 16 novembre 2001 sur la lutte contre les discriminations (textes disponibles sur le site www.le114.com).
A la question « Lors de vos recrutements, quels éléments peuvent constituer un frein à l’embauche ? », ils ont répondu qu’il s’agissait d’un problème de maîtrise de la langue française orale (90%) et écrite (81%).
Or, les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ont rarement des problèmes de maîtrise de la langue de part leur niveau d’études.
En revanche, ils peuvent avoir un accent. On remarque que les professionnels sont 38% à manifester que les signes extérieurs de l’appartenance à une religion ou à une communauté peuvent être un frein à l’embauche.
Par ailleurs, il faut savoir qu’ils sont 58% à déclarer connaître des actions menées à l’encontre des discriminations raciales mais ils sont plus d’un tiers à n’en connaître aucune. Les médias sont le principal vecteur de sensibilisation des professionnels.
En revanche, les professionnels sont nombreux à considérer que la double culture (58%) et la maîtrise courante d’une langue étrangère (65%) sont des atouts pour le recrutement.
La moitié des professionnels interrogés déclare connaître l’existence de pratiques discriminatoires à l’embauche dans leur entourage professionnel.
L’enquête montre, par ailleurs, que les jeunes professionnels, peut-être plus sensibilisés, sont moins discriminants que leurs aînés et que, par conséquent, la tendance s’améliore.
Enfin, ils sont 26% à avoir enregistré lors de leurs recrutements des comportements agressifs de la part des candidats. Certaines annotations libres mettent en évidence la nécessaire sensibilisation des candidats à l’embauche (éducation, langue, etc.).
Cette enquête met en avant l’intérêt de la majorité des recruteurs (deux tiers) pour les actions de sensibilisation à la lutte contre les discriminations.
Cela signifie notamment qu’ils souhaitent être informés et formés (aux pratiques de recrutement) et ne se désintéressent donc pas du problème, ce qui est assez positif.
Comment réagir ?
Lorsque vous êtes confrontés à un employeur discriminant, il ne faut pas vous laisser faire.
D’une part, vis-à-vis de vous même, « il ne faut pas vous arrêter à cet échec » explique Naouel Amar, « il faut en parler et trouver les moyens pour que cela ne se reproduise plus, en changeant d’approche, de manière de réagir, en trouvant des arguments pour pouvoir répondre.
Il faut parvenir à vous valoriser et ne surtout pas intérioriser l’échec.
Face à ce type de réaction, il vaut mieux rester neutre, ne pas montrer ses états d’âme, adopter une attitude sobre tout en exprimant son point de vue.
Vous devez faire valoir votre potentiel. Car il ne faut pas perdre de vue que certains employeurs peuvent aussi adopter une attitude volontairement provocatrice pour tester votre réaction ».
Pour faire valoir vos droits, vous pouvez téléphoner au 114. Ce numéro d’appel gratuit est un service d’écoute téléphonique ouvert du lundi au samedi de 10 heures à 21 heures.
Il est constitué d’un réseau de correspondants issus des services de l’Etat ou des collectivités territoriales, des associations de lutte contre le racisme et les discriminations, des organisations syndicales, des délégués du médiateur, des associations d’aide aux victimes ou de médiation sociale, etc…
Votre dossier sera alors pris en charge par la CODAC (Commission Départemen-tale d’Accès à la Citoyenneté) qui pourra envisager, selon les cas, une simple information, une enquête administrative, une médiation ou une transmission à l’autorité judiciaire.
Dans tous les cas, vous serez recontacté par le référent du 114 au plus tard dans les 15 jours suivants votre appel.