Le stress au travail est bien parti pour devenir le mal du siècle dans nos sociétés. La faute à une explosion de la concurrence (et donc une pression à la compétitivité) et une réduction des espaces qui poussent les collaborateurs les uns sur les autres dans des open spaces.
Les relations sont donc délicates, à mi-chemin entre la collaboration et la compétition. Quoi de mieux, dans un tel contexte, qu’une petite blague pour détendre l’atmosphère ? En effet, l’on regarde avec bien plus de confiance celui qui nous fait rire et s’amuse des mêmes choses que nous. Le rire peut-il être un levier de connivence, première étape vers la collaboration tant valorisée par les organisations ?
C’est en tout cas ce que pense un certain nombre de personnes, qui depuis quelques années tentent d’introduire le rire comme arme de management et outil du bien-être au travail. Mais au-delà des bienfaits individuels, les managers espèrent bien tirer de ces ateliers des bénéfices collectifs.
C’est pourquoi, une fois le corps détendu, place à des activités plus ludiques proches du jeu qui permettent aux collaborateurs de lâcher prise et donc de sortir de la stricte image du professionnel. En levant les inhibitions, le rire peut en effet encourager les brainstormings, débrider la créativité et améliorer le travail en équipe. Bien que difficilement mesurables car du domaine de l’informel, les résultats de ces ateliers convainquent un nombre toujours croissant d’entreprises. Pour preuve, il existe aujourd’hui plus de 500 clubs de rire de par le monde.
Souriez, vous êtes évalués !
Reste que ces ateliers sont loin d’être efficaces sur tout le monde. En effet, en début de séance, les participants se montrent la plupart du temps méfiants, mal à l’aise. Tel n’est pourtant pas l’effet recherché ! Cette gêne est pourtant très instructive et définit les causes même de l’absence d’humour au travail. Rire, c’est accepter de faire preuve de spontanéité, un mot d’ordre banni du monde professionnel. Au sein de l’entreprise, on se doit d’avoir un comportement formel et regarde donc avec circonspection toute activité susceptible de nous rendre ridicule.
Ce blocage est très souvent le fait des managers, qui considèrent que l’humour est incompatible avec l’autorité. En acceptant de rire, ne remettent-ils pas en question la poigne qu’ils ont mis tant de temps à imposer ? Cette peur de l’humour est, pour certains spécialistes, liée à un manque de confiance en soi : ne perçoivent le rire comme une arme que ceux qui craignent qu’il ne puisse se retourner contre eux. La situation peut sembler paradoxale, le sens de l’autodérision étant considéré comme une preuve de sagesse dans nombre de cultures.
48 % des recruteurs considèrent le manque d’humour en entretien comme une caractéristique rédhibitoire chez le candidat !
Il faut dire que l’humour fait vendre, que ce soit auprès des consommateurs ou au sein de l’entreprise. C’est pourquoi s’impose aujourd’hui au sein des organisations une véritable dictature du fun.
Ce dernier n’est plus une bulle de liberté des employés lors d’instants informels mais un outil marketing aux mains des directions. Tout, de la disposition des bureaux à la décoration, en passant par la tenue des collaborateurs et les célébrations, doit refléter la décontraction et le second degré. Une « coolitude » tout particulièrement prisée des start-up, qui érigent l’humour en symbole de créativité et de modernité. Il convient de souligner qu’il s’agit-là d’une façade et non pas d’un mieux dans les relations interpersonnelles, un peu à la manière des présentateurs télé dont le sourire permanent ne doit pas faire oublier la violence des faits qu’ils annoncent.
Aujourd’hui, un collaborateur est donc également jugé sur sa capacité à se montrer informel. Quiconque ne copine pas autour de la machine à café, ne participe pas aux pots de départ ou ne distille pas sa jovialité au quotidien sera drôlement perçu et jugé par l’ensemble de ses collègues et supérieurs, quelle que soit sa valeur professionnelle par ailleurs !
Cette « pression à la décontraction » s’observe également chez les managers, qui doivent donner envie d’être suivis. Le leader autoritaire a, semble-t-il, fait son temps en entreprise. De quoi offrir une portée nouvelle à cette pensée de Charlie Chaplin, qui considérait que « le rire est le chemin le plus court entre deux personnes. »