Le smartphone dans une main, le biberon dans l’autre, c’est ainsi que s’imaginent de plus en plus de femmes qui profitent de leur grossesse pour lancer leur activité.
Entre bébé et business, elles refusent de choisir et rejettent une entreprise qui ne veut plus d’elles ou ne correspond plus à leurs attentes. Elles, ce sont les mompreneurs.
Tête dans les nuages, pieds sur terre
Sans surprise, le phénomène des « mompreneurs » (parfois orthographié mumpreneurs, voire mampreneurs en français) nous vient des Etats-Unis, où il s’est développé dès la fin des années 90. Sur la terre natale du « self-made man » et des « baby showers », elles sont aujourd’hui cinq millions et jouissent de leurs propres émissions radio, télévisées et revues spécialisées.
L’émergence du mouvement repose, comme bien souvent au pays de l’Oncle Sam, sur de belles histoires : celle de Sandra Wilson, ancienne hôtesse de l’air ayant perdu son emploi. Afin d’occuper ses journées, elle fabrique à son petit garçon de dix-huit mois des chaussons de cuir parfaits pour ce marcheur débutant. Ces créations aux pieds, le bonhomme défile devant les amies de maman, qui en commandent à leur tour. Bouche-à-oreille et effet boule de neige : la société Robeez génère désormais un chiffre d’affaires de 15 millions de dollars et emploie 450 personnes.
Ce mythe originel contient tous les éléments qui définissent aujourd’hui le mouvement des mompreneurs : de nouvelles mères qui, par refus du statut de « femmes au foyer », se créent leur propre activité.
Aux Etats-Unis, on les appelle aussi les WAHM, work at home mothers (mères travaillant à la maison). Ayant identifié un besoin chez elles ou leur enfant auquel l’offre existante ne répond pas, elles trouvent une solution inédite qu’elles finissent par commercialiser. Parce que l’entreprenariat était jusqu’à très récemment majoritairement masculin, le terrain de la natalité reste encore largement inexploré.
Le potentiel d’innovation pour ce nouveau type d’autoentrepreneurs est donc immense, d’autant plus que l’existence d’une clientèle est garantie par le besoin même ressenti par la mompreneur.
Qui sont ces super-nanas ?
A en croire ces deux parcours, les jeunes mères se lancent presque par hasard dans l’expérience de la création d’entreprise, parce qu’une idée leur est tombée dessus comme la foudre. La mompreneurs ne serait donc que la version moderne de la « desperate housewife » qui vendait des tupperware pour tromper l’ennui.
Réducteur, estiment certaines des concernées qui rejettent jusqu’au terme qui les désigne ; à leur yeux, le mot « mompreneur » résume leur initiative à une activité de maman. Or, elles ne sont pas mère avant d’être entrepreneurs, elles sont les deux à la fois, en même temps et en parallèle. La grossesse n’est pas la raison qui les a poussées à se lancer, elle est l’opportunité. En effet, le congé maternité est on ne peut plus propice à l’aventure, en ce qu’il laisse à la future maman pleine d’idées du temps libre et un filet de sécurité.
D’une durée comprise entre 16 et 46 semaines, il permet de développer un projet et, en cas d’échec, de renouer avec l’entreprise… comme si de rien n’était.
Rares sont celles qui choisissent cette voie. Au contraire, certaines décident de se lancer l’issue de leur congé, après avoir retrouvé les collègues et la machine à café. Confrontées à une mise au placard, à un refus d’adapter les horaires de travail ou tout simplement conscientes que la maternité a changé leurs attentes, elles rompent avec l’entreprise pour un rythme plus adapté à leur nouvelle vie.
En cela, elles changent le portrait-type de la candidate à l’entreprenariat. Auparavant privilégié par les cinquantenaires entravées dans leur avancement par le plafond de verre, il séduit aujourd’hui les jeunes actives bardées de diplômes, cadres de préférence, entre 25 et 35 ans (soit l’âge du premier enfant). La mompreneur d’aujourd’hui se lance donc avec une formation bêton, l’habitude de prendre des décisions stratégiques et de porter des responsabilités.
La force des femmes
Reste qu’une bonne moitié des entreprises ainsi créés disparaitront avant d’atteindre leur troisième anniversaire, preuve que certaines voient trop grand en s’imaginant gérer de front –et seules– enfant, maison et entreprise. Mais plus encore, ce taux d’échec prouve que l’on ne s’improvise pas entrepreneur et qu’une bonne idée ne suffit pas.
Parmi les principaux écueils se trouvent celui du financement. Désireuses de ne pas exposer leur foyer nouvellement formé, les mompreneurs limitent les risques et rares sont les investissements initiaux supérieurs à 10 000 €. Pourtant, pour des raisons de logistique, la plupart privilégie le format du e-commerce, peu gourmand quand il est informel mais dont le coût augmente bien vite s’il l’on prétend atteindre une large audience et sécuriser les paiements.
A cela s’ajoute la difficulté à se rémunérer : en moyenne, un entrepreneur met deux ans avant de pouvoir se payer. Le conjoint est donc à consulter car son soutien moral et financier paraît incontournable.
La seconde difficulté frappe tous les entrepreneurs et détermine bien souvent le succès de l’entreprise naissante : la constitution d’un réseau, propre à offrir conseils et contacts. Sur ce point, le moins que l’on puisse dire est que les mompreneurs se serrent les coudes. Associations et forums fleurissent sur internet, qui organisent des rencontres et remises de prix.
Sur la principale plateforme française (mompreneurs.forumpro.org), elles partagent leurs expériences avec une conviction, celle que le mouvement n’en est encore qu’à ses prémices et continuera à grandir tant que les entreprises feront de la parentalité un frein à la carrière.
La grossesse, gros tabou en entreprise Faire un enfant, quoi de plus naturel en somme ? Depuis l’instauration d’un congé paternité, on aurait pu croire que la question de la parentalité se détacherait des femmes et se banaliserait dans l’entreprise. Que nenni, si l’on en croit les dernières études sur la question. · 36 % des femmes estiment ne pas avoir recouvré l’intégralité de leurs fonctions dans l’entreprise à leur retour de congé, un résultat qui monte à 44 % chez les cadres. · 23 % disent avoir été interrogées sur leur intention d’avoir des enfants lors de leur entretien d’embauche (sondage CSA ). Conscient de la persistance de ces dérives, le gouvernement a inclus une mesure en faveur des salariées , qui étend de quatre à dix semaines la période de protection au cours de laquelle une nouvelle mère ne peut être licenciée après son retour de congé (sauf pour faute grave ou raison économique). |