Casque de travaux sur la tête et gilet réfléchissant sur le dos, c’est sur le terrain du plus grand chantier de Paris que le Ministre du travail, François Rebsamen, a commencé sa semaine. Accompagné du député Gilles Savary et de Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, il a pendant plus d’une heure parcouru les six étages du chantier et salués les plus matinaux des 300 salariés qui y travaillent. Malgré les apparences, le thème de la visite est épineux : les travailleurs détachés et leur régulation.
L’équipe de RECRUT.COM a elle aussi chaussé les bottes en caoutchouc pour faire le point sur le sujet.
Prolongement naturel du principe européen de la libre circulation des personnes, le détachement des travailleurs permet à un pays membre d’envoyer des travailleurs effectuer des missions dans un autre pays membre. Ceux-ci seront soumis aux conditions de travail (salaire, horaire…) du pays d’accueil, mais conservera les cotisations sociales de son pays d’origine. Pour résumer, un étranger venu travailler en France percevra au moins le SMIC, tandis que le travailleur français parti à l’étranger n’aura pas à craindre pour sa retraite.
On estime à 140 000 le nombre de Français détachés à l’étranger et 220 000 le nombre de travailleurs accueillis par la France. Concentrés principalement dans les secteurs du bâtiment, du transport routier, de l’agriculture et de la restauration, ils sont à l’origine du stéréotype de l’étranger venu piquer le travail du Français grâce à un coût du travail moindre.
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Une fois n’est pas coutume, ce sont les professionnels qui ont demandé à l’Etat de légiférer. En effet, les entreprises (du bâtiment, notamment) se retrouvent souvent tiraillées entre la nécessité de respecter les lois et celle de s’aligner sur les prix les plus bas. Or, faire appel à des travailleurs détachés peut, selon le pays d’origine, entraîner des coûts horaires du travail de 20 à 30 % inférieurs au SMIC français. Il s’agit donc, selon le Ministère du travail, d’une situation inacceptable de « dumping sociale » et de « concurrence déloyale ». Afin de protéger les entreprises françaises, l’emploi et même les travailleurs détachés (dont les conditions d’accueil ne sont pas encadrées), plusieurs Etats européens ont décidé de porter la question devant les instances de l’Union.
Les premières pierres d’une loi furent donc posées à l’échelle européenne le 3 juin dernier, avec l’adoption d’une directive établissant la responsabilité solidaire des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre, ainsi qu’une amende de 2 000 euros pour chaque salarié détaché non déclaré à l’inspection du travail. Autre mesure symbolique : la création d’une « liste noire » regroupant les entreprises saisies pour travail illégal. Ces dernières se verront privées de toute aide publique pendant cinq ans et recevront une amende de 100 000€ en cas de récidive.
A la demande de la Fédération française du bâtiment, François Rebsamen dit aujourd’hui vouloir aller plus loin avec la constitution d’ « unités régionales spécialisées » de l’inspection du travail, visant à renforcer les contrôles. Afin de faciliter les enquêtes (qui, dans le contexte du détachement, s’étalent sur plusieurs pays), la carte d’identité professionnelle sera élargie à tous les employés du bâtiment. « Si les travailleurs d’un chantier ne possèdent pas cette carte, il y aura une forte suspicion de fraude », estime Jacques Chanut.
Le président de la FFB, Jacques Chanut, s’est montré convaincu par les déclarations du ministre, qui font écho à des plaintes exprimées depuis plus de deux ans par son secteur. M. Rebsamen affirme avoir l’intention de prolonger cette réflexion sur la régulation du travail détaché, et tend donc la main aux représentants des secteurs routiers, agricoles et de la restauration.